Le but de ce projet de recherche est d’établir une évaluation nouvelle et originale de la grande zone arabe de libre-échange (GAFTA), concernant ses effets sur le commerce et le bien-être. Cette recherche débute par une description et une analyse critique des échanges et de l’intégration régionale dans le monde arabe. Une attention particulière est portée sur les dispositions de l’accord GAFTA, ainsi que ses limites. L’analyse de l’intégration régionale est également reliée à l’analyse des échanges dans la zone, en particulier depuis la signature de l’accord GAFTA en 1998.
Les parties suivantes sont consacrées à une double approche, fondée sur des théories récentes de l’intégration régionale. La première approche consiste en des enquêtes mises en œuvre dans divers pays et diverses branches de la zone GAFTA. Ces enquêtes permettent de mettre en lumière plusieurs effets sur le bien-être, effets liés à l’intégration régionale dans la zone arabe. Ils incluent non seulement les gains en concurrence parfaite (exploitation des avantages comparatifs, utilisation plus efficace des facteurs de production) mais aussi les gains supplémentaires en concurrence imparfaite (amélioration des termes de l’échange, réduction des coûts à l’échange, existence d’économie d’échelle, élargissement du choix de variété des produits pour le consommateur) ainsi que les effets dynamiques (hausse des investissements directs étrangers, effets sur la croissance) et l’impact des distorsions économiques (impôts/subventions).
Cette analyse qualitative à l’échelle micro-économique est ensuite complétée par un modèle empirique, correspondant à la seconde approche, destinée à quantifier les effets de l’accord GAFTA sur les échanges. Ce modèle combine de façon originale les modèles de gravité ainsi que les modèles d’offre-demande à l’exportation. Sa contribution principale est d’inclure simultanément les variables gravitaires avec des variables d’offre, en particulier les économies d’échelle et la différenciation des produits. Ce modèle est ensuite estimé afin de calculer les effets du GAFTA sur les échanges intra-régionaux, à partir de plusieurs estimateurs choisis, comme Hausman et Taylor (qui tient compte du problème d’endogénéité), les GMM (modèles dynamiques) ainsi que les modèles à effets transformés (pour tenir compte de l’hétérogénéité multiple).
Les principaux résultats de la recherche sont les suivants :
1. Bien que les premières tentatives d’intégration régionale remontent aux années cinquante, l’accord GAFTA est certainement le plus abouti. En effet, les droits de douane ont été complètement éliminés le 1 janvier 2005 ; l’accord couvre actuellement 17 pays dans la zone arabe ; il s’appuie sur une liste « négative » ; il inclut les produits agricoles ainsi des accords supplémentaires sur la libéralisation des services (signés en 2003) et sur la coopération en matière de recherche et de technologie.
2. Cependant, l’accord GAFTA présente un certain nombre de limites. Premièrement, bien que les droits de douane aient été éliminés, certains pays membres ont introduit de nouvelles barrières, pouvant être des taxes ou d’autres barrières non tarifaires (BNTs). Deuxièmement, l’accord GAFTA reste un exemple parfait d’intégration « molle », et souffre d’un certain nombre de limites, comme l’absence d’un mécanisme de règlement de conflits (bien que certains efforts soient effectués en ce sens), l’absence de schéma détaillé de règles d’origine , la faiblesse du système d’harmonisation des normes, l’absence d’harmonisation des règles de concurrence ainsi que l’absence de protection des droits de propriété intellectuelle. De plus, il n’existe pas d’accord sur la libre circulation du travail. Enfin, l’accord ne prévoit pas la mise en place d’institutions communes ou la présence d’un Etat arabe leader, qui pourraient permettre de résoudre les problèmes concernant notamment les litiges commerciaux. Autrement dit, pratiquement tous les aspects de l’intégration « profonde » sont absents de l’accord.
3. Le commerce intra-GAFTA a augmenté de façon importante depuis la mise en place de l’accord en 1998 (+15% en moyenne annuelle depuis 1998). Cette hausse est plus élevée que celle des exportations mondiale (9%) et que celle des exportations extra-GAFTA (+14%).
4. En pourcentage des échanges totaux, le commerce intra-régional est passé de 9,8% en 1998 à 11,2% en 2005. En excluant les produits pétroliers, ce pourcentage est passé de 13,5% à 18,0% sur la même période. Cette part est comparable à celle correspondant à d’autres groupements régionaux comme le COMESA ou l’ASEAN. Cependant, elle reste beaucoup plus faible que celle correspondant à l’UE et l’APEC.
5. Plus précisément, il existe des différences entre les pays et les produits. Par exemple, certains pays ont fortement augmenté leur part de commerce intra-régional (Egypte, Jordanie, Liban, Syrie, Tunisie), tandis que d’autres ont connu une stabilité ou même un déclin (certains pays du Golfe). Au niveau des branches d’activité, l’augmentation la plus forte du commerce intra-régional concerne les produits agro-alimentaires, les produits manufacturés ainsi que les machines et l’équipement de transport. A l’inverse, les produits non transformés, les produits pétroliers et les produits gras n’ont pas connu une telle croissance.
6. Les pays arabes ont réussi dans une certaine mesure à diversifier leurs échanges. Ainsi, huit pays ont exporté plus de 200 produits en 2005 (au niveau 3-digit de classification), au lieu de trois pays en 1995.
7. Le modèle théorique d’intégration régionale étendu en concurrence imparfaite (présenté dans la partie 2), permet d’identifier plusieurs canaux correspondant aux effets sur le bien-être de l’intégration régionale :
a. Les effets en concurrence parfaite (volumes de commerce, coûts d’échange)
b. Les effets liés aux termes de l’échange
c. Les effets en concurrence imparfaite (production, économie d’échelle, variété des produits)
d. Les effets dynamiques (investissement, croissance, IDE)
e. Les effets liés aux distorsions (salaires, impôts)
8. Une application de ce modèle aux pays membres du GAFTA à partir d’une série d’enquêtes menées dans plusieurs pays arabes et auprès de plusieurs branches, révèle que :
a. L’accord GAFTA a un effet positif sur le volume du commerce intra-régional. Il existe cependant des différences entre les pays et les produits. Par exemple, si presque tous les pays semblent avoir bénéficié d’effets positifs sur le commerce, le Liban fait figure d’exception. Dans ce pays, les firmes se plaignent en effet des différences de prix de l’énergie, dues aux subventions dans les autres pays membres du GAFTA. Ceci a créé une situation de concurrence déloyale, dans laquelle les firmes libanaises sont désavantagées sur le marché régional. Concernant les effets par produits, l’agro-alimentaire et la chimie semblent avoir bénéficié de l’accord GAFTA, contrairement au textile et à l’habillement, pénalisés par plusieurs facteurs (hausse des BNTs, dumping, absence de différences de coûts de production et de goûts des consommateurs entre les pays, structures de marché, etc…).
b. La réduction des BNTs a un effet neutre, dans la mesure où les réductions prévues par l’accord ont été accompagnées par l’érection de nouvelles BNTs dans certains pays membres.
c. Les effets en concurrence imparfaite (production, économies d’échelle et variétés de produits) sont faiblement positifs. Ce résultat contraste avec les effets très positifs enregistrés pour l’intégration régionale nord-nord, en particulier dans l’UE. Plusieurs raisons expliquent cette différence : la persistance des BNTs qui freine les effets de production et d’économie d’échelle, l’absence de différenciation des produits qui pénalise l’effet « variétés », ou encore l’insuffisance des différences de goût des consommateurs. En conséquence, les échanges sont essentiellement de nature inter-branches avec de faibles effets en concurrence imparfaite. Enfin, l’absence de « deep integration » constitue un frein à la création d’un véritable marché unique qui permettrait de réels effets de production et d’économie d’échelle.
d. Les effets de distorsions ont un impact significatif, notamment les différences de subventions entre les pays. Ainsi, certains pays sont avantagés par les subventions de leurs propres productions et exportations (en particulier l’Arabie Saoudite, les EAU et l’Egypte), au détriment des pays avec les subventions les plus faibles (Liban, Maroc).
e. Les effets concernant les termes de l’échange et les effets dynamiques n’ont pas pu être identifiés. Ceci peut s’expliquer par le fait que les firmes interrogées ne peuvent identifier la relation complexe entre l’intégration régionale d’une part, et ses effets indirects sur les prix, l’investissement, les IDE et la croissance d’autre part.
9. Dans la partie 3, nous proposons un modèle d’échange original, qui s’appuie sur des développements récents des modèles de gravité ainsi que des modèle offre-demande à l’exportation. Il permet d’identifier les déterminants suivants des échanges :
a. Les variables gravitaires traditionnelles (PIB, distance, langue commune)
b. Les variables liées au coût à l’échange (effets frontières, intégration régionale)
c. Les variables de concurrence imparfaite (économies d’échelle, variétés de produits)
d. Les anticipations
e. L’hystérèse due aux coûts irrécupérables.
10. Une application de ce modèle aux pays membres du GAFTA à l’aide d’une série d’estimateurs économétriques appropriés (Hausman et Taylor, Arellano, Bond et Bover, modèles à effets transformés, etc…) rend possible de quantifier l’impact des variables décrites ci-dessus sur le commerce intra-régional des pays du GAFTA. Les principaux résultats sont les suivants :
a. Les effets standard de commerce en concurrence parfaite entraînent une hausse des échanges (PIB et distance)
b. Les effets de l’accord GAFTA sur les échanges sont positifs. En particulier, le modèle démontre une création d’échanges significative. En revanche, il y a peu de détournement d’échanges. Cette dernière se limite d’ailleurs aux importations mais est inexistante pour les exportations. Au total, la création nette d’échanges est estimée à environ 26% des échanges de la zone GAFTA.
c. Cependant, la plupart des pays ont des niveaux actuels d’échanges en deçà de leurs niveaux potentiels. Ceci suggère que l’accord GAFTA n’a pas permis d’augmenter les flux d’échanges régionaux à un niveau supérieur aux flux « normaux », particulièrement concernant le Maroc, la Tunisie, mais aussi l’Egypte, la Jordanie et la Syrie.
d. Les effets en concurrence imparfaite sont limités. En particulier, bien que les économies d’échelle soient significatives dans la plupart des pays du GAFTA, ces économies ne permettent pas d’augmenter les flux d’échanges dans cette zone. Ce résultat corrobore les résultats qualitatifs obtenus avec les enquêtes de terrain. La encore, la principale explication réside dans les structures de marché, caractérisées par une faible différenciation des produits, une similarité des goûts des consommateurs et un commerce essentiellement inter-branches. De plus d’absence d’intégration profonde empêche les pays du GAFTA de bénéficier de leurs économies d’échelle, dans la mesure où les BNTs existantes rendent difficile d’exploiter leurs économies d’échelle en profitant d’un grand marché unifié.
11. Les principales implications en termes de politique économique sont les suivantes. Si l’objectif est d’améliorer les effets de l’accord GAFTA sur le commerce et le bien-être, plusieurs politiques peuvent être mises en œuvre :
a. Toutes les dispositions de l’accord actuel doivent être rigoureusement appliquées. Au-delà, des efforts vers une intégration plus profonde doivent être engagés : en particulier, de réels progrès doivent être accomplis en faveur de l’adoption de règles d’origine détaillées et transparentes, de la suppression des BNTs, de l’adoption de normes communes, de la libre circulation du travail (en particulier des entrepreneurs et du travail qualifié), etc… De tels progrès permettraient non seulement d’augmenter les effets commerciaux directs de l’intégration régionale, mais aussi de développer les effets indirects (économies d’échelle et effets dynamiques), grâce à la mise en place de fondations solides pour une zone plus intégrée. Sur ce point, il est important de souligner que la libéralisation des services selon l’approche GATS+ aura certainement un effet positif sur l’approfondissement de l’intégration entre les pays membres du GAFTA.
b. Un autre moyen d’améliorer les effets de l’intégration régionale pourrait être atteint à partir du cumul des règles d’origine entre les pays GAFTA et les pays membres de l’accord d’Agadir. L’utilisation de ce système de cumul permettrait de contraindre les pays du GAFTA à davantage coopérer ce qui permettrait d’atteindre une meilleure allocation des ressources.
c. Il y a aussi urgence à mettre en place un système qui permettrait que les distorsions domestiques ne produisent pas d’effets d’entraînement négatifs sur les pays membres du GAFTA. Le cas des différents systèmes de prix de l’énergie dans les pays membres a montré ses effets négatifs, en particulier pour le Liban (non subventionné). Ainsi, des règles claires et équitables régulant les subventions doivent-elles être mises en place rapidement.
d. Les pays de la zone GAFTA doivent renforcer leur coopération afin d’augmenter les effets positifs de l’accord sur les secteurs les plus perméables à ces effets comme l’agro-alimentaire et la chimie. De plus les BNTs affectant les autres secteurs comme le textile doivent être éliminés.
e. Les pays membres devraient aussi mettre en place des programmes d’information et des bases de données sur le commerce et l’investissement intra-régional. En effet, les acteurs économiques connaissent encore assez peu les dispositions de l’accord GAFTA. Ils ont besoin de plus d’information.
f. D’un point de vue politique, il est aussi crucial que les pays du GAFTA puissent s’appuyer sur une coopération politique plus étroite ainsi que sur des institutions communes qui permettraient de contrôler la libéralisation des échanges dans la région et de résoudre les litiges commerciaux.
g. Plus généralement, les Etats doivent tout mettre en œuvre pour générer des conditions optimales pour la croissance économique. Ces conditions incluent la réforme des Etats, le développement d’infrastructures inter-pays, comme les autoroutes ou les chemins de fer, une plus grande libéralisation des échanges et des IDE, pas seulement à l’intérieur de la zone GAFTA mais aussi avec les autres partenaires, etc…