Les performances des économies maghrébines (Maroc et Tunisie) soulignent l’existence d’un problème majeur, c’est celui de la faiblesse de l’accumulation du capital physique. L’épargne nationale étant faible, le recours à l’épargne étrangère – via les investissements directs étrangers (IDE) – n’est pas suffisant; d’où la recherche d’autres sources de croissance. Dans ce cadre, une éducation adaptée aux besoins de ces économies et une technologie basée sur les savoir-faire locaux sont des voies à développer. L’éducation en tant que valorisation du capital humain contribue directement au développement économique de manière générale et au potentiel scientifique et technique en particulier. En permettant d’améliorer l’efficacité de la main-d’œuvre et sa mobilité, l’éducation participe directement à l’amélioration de la productivité globale des facteurs (PGF).
Dans ce contexte, l’objectif principal de cette étude est d’évaluer la vitesse, la qualité et la nature de l’insertion des lauréats de la formation professionnelle, en fonction des spécialités de formation, dans les économies du Maroc et de la Tunisie.
Cette étude est structurée autour de cinq chapitres:
Le chapitre premier aborde la formation professionnelle au Maroc, en insistant sur les politiques publiques et les réformes entreprises depuis le début des années quatre-vingt. Après un rappel historique sur la genèse de la formation professionnelle, M. Driss EL YACOUBI conclut que cette dernière a, non seulement, contribué à l’amélioration du taux de qualification des personnes qui accèdent au marché de travail, mais elle a aussi largement favorisé l’ouverture du système d’éducation sur son environnement économique. Cependant, pour importantes qu’elle soit cette évolution ne peut passer sous silence l’immensité du chemin qui reste à parcourir en terme de restructurations et des renforcements significatifs du dispositif de formation professionnelle.
Le chapitre 2 propose une stratégie de développement national et les impératifs de refonte du dispositif de Formation-qualification professionnelle au Maroc. Après avoir détaillé les différentes phases du développement du Maroc et les différentes réformes mises en place par les autorités marocaines dans les différents secteurs économiques, M. Mohamed ELMERGHADI quantifie les besoins sectoriels en formation professionnelle à l’aune de l’émergence de nouveaux métiers. Après la réussite, toute relative, des réformes macroéconomiques entreprises par ce pays depuis son indépendance, il est aujourd’hui prêt pour affronter la concurrence que lui impose l’ouverture dans laquelle il s’est largement inscrit, à condition de reformer son système de formation.
Le chapitre 3 traite les aspects institutionnels de la formation professionnelle en Tunisie. M. Jamal BOUOIYOUR décrit brièvement la genèse de ce système et fait remarquer que la Tunisie malgré des progrès remarquables, souffre de certains maux liés à l’intégration très partielle du système de la formation professionnelle dans le système générale de formation. Ce phénomène n’est pas propre à la Tunisie, puisqu’on le retrouve au Maroc. De manière plus précise, le dispositif de la formation professionnelle s’avère incapable d’anticiper les métiers d’avenir. Pis encore, quand certains métiers ne sont plus demandés sur le marché du travail, le dispositif continue à former des candidats en faisant-fi de la demande en main d’œuvre. De même, la formation professionnelle continue à véhiculer, comme au Maroc, une image négative auprès du grand public, mais aussi auprès des entreprises. Enfin, les passerelles entre la formation continue et les autres composantes du système de formation sont peu nombreuses, voir inexistantes.
Tous ces dysfonctionnements, et bien d’autres, existent bel et bien dans les deux pays. Le rappel historique détaillé fourni dans le premier chapitre par M. EL YACOUBI le confirme. Cependant, on peut déceler des différences importantes dans les dispositifs de formation professionnelle des deux pays. D’abord, la production des diplômes est trois plus importante au Maroc qu’en Tunisie, ensuite, la restructuration du secteur de la formation professionnelle a commencé plutôt au Maroc par rapport à la Tunisie et enfin, l’organisation de la formation est plus efficace au Maroc eu égard à la Tunisie.
Le chapitre 4 conforte justement les remarques précédentes et fait remarquer que le Maroc «s’en sort mieux» que la Tunisie au niveau de l’impact du capital humain de type formation professionnelle sur la croissance économique. Jamal BOUOIYOUR et Saïd HANCHANE utilisent le modèle de Solow augmenté pour quantifier les déterminants à long terme de la croissance dans les deux pays. Ces derniers sont, dans le cas tunisien, le capital au sens large (physique et humain), la croissance de la population et le PIB retardé (ce qui confirme l’occurrence du phénomène de rattrapage). Au Maroc, on retrouve les mêmes variables sauf le capital (au sens large) n’est pas toujours significatif.
Si au niveau de la formation générale la Tunisie est plus performante que le Maroc, au niveau de la formation professionnelle le Maroc tire mieux «son épingle du jeu».
Le chapitre 5 présente une étude micro économétrique basée sur des données des enquêtes des lauréats de l’OFPPT sur la période 2000, 2001 et 2002. L’objectif de ce chapitre est d’évaluer la performance et le rendement du dispositif de formation en terme d’insertion professionnelle des lauréats. Les estimations en donnée de panel reposent sur deux modèles. Le premier est un modèle à effet fixe qui est convergeant et efficace dans le contexte de cette étude. Le second est un modèle à paramètres hétérogènes qui part du principe que les effets des facteurs d’insertion peuvent être dispersés et varient d’un individu à un autre. Les résultats montrent que globalement le dispositif de formation professionnelle est efficace dans la mesure où les taux d’insertion sont très importants. Les auteurs – Jamal BOUOIYOUR, Audrey DUMAS et Saïd HANCHANE – arrivent à la conclusion selon laquelle les lauréats de la formation professionnelle se retrouvent pris dans une double tenaille avec d’un côté les difficultés inhérentes au marché du travail marocain qui fonctionne dans une logique qui lui est propre. Et d’un autre côté, un effet de réputation qui «colle» au système de la formation professionnelle. Cet effet de réputation se propage au-delà du grand public pour atteindre les entreprises. De même, les politiques publiques d’aide à l’insertion des lauréats de la FP sont inefficaces alors que les réseaux et pratiques de cooptation sont les moyens privilégiés pour s’insérer facilement dans le marché du travail. Le rôle de l’Etat paraît crucial à ce niveau pour non seulement lutter contre ce phénomène, mais aussi pour mettre la formation professionnelle au cœur du dispositif de formation et d’éducation au Maroc.
En ce qui concerne la formation continue au sein des entreprises, nous avons montré, dans un premier temps, que les responsables d’entreprises ont des représentations des Contrats Spéciaux de Formation (CSF) très différenciées selon leur interprétation du rôle que peut jouer l’aide publique en matière de formation continue et de sa contribution à la réalisation de leurs projets de développement. Ainsi, il apparaît que les entreprises opportunistes sont sévèrement sanctionnées, alors que celles qui «jouent le jeu» sont récompensées en matière d’amélioration de leurs performances (et de leur compétitivité), que celles-ci soient mesurées par le « chiffre d’affaire » ou par la « valeur de la production ».
Dans un second temps, les contrats spéciaux de formation s’avèrent être une mesure efficace et pertinente de la politique publique en matière de formation tout au long de la vie, surtout lorsque les entreprises considèrent la formation comme une fonction à part entière dans leur stratégie de développement. Le succès de cette mesure d’incitation auprès des entreprises pour développer la formation de leur personnel dépend essentiellement de la manière dont les entreprises bénéficiaires interprètent et utilisent ce dispositif; ce n’est nullement l’affaire du seul décideur public. Le partage d’une même compréhension du rôle des CSF dépendra, pour une grande part, de la qualité et de l’importance de l’information et de la communication qui circuleront sur ce sujet dans les milieux patronaux et syndicaux.