Le Plan Bleu et l’Unité de Coordination du Plan d’Action pour la Méditerranée ont reçu le mandat des Parties Contractantes de préparer un nouveau rapport sur l’état de l’environnement et du développement en Méditerranée qui sera présenté à la Conférence des Parties à la Convention de Barcelone fin 2019.
Ainsi, le Plan Bleu a organisé un Atelier « Quels enjeux majeurs dans les zones marines et côtières en Méditerranée ? Données et tendances » au Campus du développement (ex CEFEB) de l’AFD à Marseille (France), les 12 et 13 décembre 2017.
L’objectif était de constituer un groupe d’une trentaine d’experts thématiques, issus d’institutions internationales, méditerranéennes, mais aussi nationales et locales, afin de contribuer à l’élaboration du rapport. Trois experts du réseau FEMISE ont été mobilisés, contribuant à identifier les thématiques prioritaires, les informations manquantes, et les connaissances devant être améliorées à propos des instruments économiques pour l’adaptation au changement climatique. L’objectif étant d’apporter du contenu utilisable dans le prochain rapport du Plan Bleu sur l’État de l’environnement et du développement en Méditerranée.
Aperçu des trois présentations FEMISE
Dr. Constantin Tsakas (Délégué Général de l’Institut de la Méditerranée, Secrétaire Général du FEMISE) : « Stratégies et instruments Sud-Med pour le changement climatique: quelle cohérence d’action pour l’atténuation / adaptation et quels autres besoins? »(présentation disponible ici)
Le changement climatique est une thématique de premier plan pour les pays Méditerranéens, du fait des fortes interconnections entre économie et environnement. Ces interdépendances font émerger des opportunités, en termes de création d’emplois, de ressources, mais aussi des problématiques (montée des eaux, stress hydrique…)
Les pays Sud-Méditerranéens sont impactés sur tous les fronts par le changement climatique (écosystème marin, biodiversité, populations vulnérables, agriculture, tourisme…), et les implications socio-économiques représentent une source potentielle de révoltes et de conflits. Malgré ces enjeux, beaucoup de pays Méditerranéens ont connu une augmentation des émissions de CO2 par habitant.
Quelles instruments économiques pour les politiques de l’environnement ? La taxinomie des instruments identifiés par les chercheurs du FEMISE, dans le cadre du travail mené pour le prochain rapport IM-FEMISE-ENERGIES2050 sur l’impact du changement climatique en Méditerranée (à paraitre en 2018), recense les biens environnementaux (marchés publics « verts »), les régulations (quotas, normes…), la création de nouveaux marchés (autorisation d’émissions, compensations en cas de dépassement des seuils autorisés), l’utilisation des marchés existants (taxes, subventions), et d’autres instruments tels que les labels et standards énergétiques. Sur papier, tous les pays Méditerranéens (sauf la Libye) ont un cadre politique concernant les énergies renouvelables. Ces pays ont adopté quelques uns de ces outils dans des secteurs spécifiques (énergies renouvelables, transport et tourisme, et gestion des déchets).
Parmi les instruments pour les énergies renouvelables, on a d’abord les appels d’offres publics au Maroc (projets de grande échelle), en Palestine, en Jordanie et en Israël (installations solaires photovoltaïques et éolien). Ensuite, des objectifs ciblés ont été définis (en termes de capacité ou de couverture) pour le chauffage et la climatisation issus d’énergies renouvelables. Des tarifications garanties pour l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables ont aussi été instaurées, notamment en Algérie (pour l’électricité issue du photovoltaïque). Enfin, on retrouve des taxes, comme celles sur la consommation d’énergie, sur le gaz naturel et sur les produits énergivores en Algérie.
Concernant les mesures mises en place pour la gestion des déchets, nous avons surtout des instruments utilisant le marché existant. En Tunisie, le FODEP subventionne les installations de dépollution ou de collecte et recyclage de déchets, et une taxe sur la VA des producteurs d’articles polluants a été instaurée. Le Maroc a mis en place une redevance pour le déversement de liquides et le rejet de déchets (basée sur le principe du « pollueur-payeur »), et une écotaxe sur les produits en plastiques et les emballages
Pour les secteurs du tourisme et des transports, les instruments suivants ont été identifiés : une taxe sur l’enregistrement des véhicules d’occasion en Tunisie, une subvention pour les démarches de labellisation écologique « Moussanada Siyada », et un fond « RENOVOTEL 3 » dédié à la mise à niveau environnementale des établissements touristiques au Maroc.
Les revenus issus des taxes environnementales varient entre pays Méditerranéens. En Tunisie ils étaient seulement de 1.16% du PIB en 2014, ce qui demeure insuffisant en comparaison de la Slovénie (3.9% du PIB, pour un PIB similaire à la Tunisie) ou du Maroc (1.72% du PIB). Parmi les pays de la région, la Turquie est le pays où le revenu des taxes représentait la plus grande part du PIB (3.83%), bien que ce pays ne soit pas comparable en termes de démographie ou de tourisme (la taille du pays compte dans les recettes fiscales).
Des efforts sont en cours sur le plan institutionnel, en particulier au Maroc (reconnaissance du développement durable en tant que droit pour chaque citoyen) et en Tunisie (changement climatique reconnu dans la Constitution en 2014), mais aussi à un degré moindre en Algérie. Mais il reste beaucoup à faire : la part des énergies renouvelables reste insuffisante dans le mix énergétique, et seule une part marginale des financements est destinée aux énergies renouvelables, alors que la majeure partie des fonds étant toujours attribuée aux énergies traditionnelles.
Le contexte (post-printemps arabes, pressions sociales) est à prendre en compte dans les orientations futures. La problématique clef est le manque de ressources pour implémenter des mesures favorables aux énergies « vertes », alors que les activités utilisant de grandes quantités d’énergies demeurent une grande source d’emplois. À long terme, l’enjeu sera de réorienter l’épargne et l’emploi vers des projets émettant moins de CO2.
Les recommandations préliminaires soulignent le besoin de continuer l’adaptation au changement climatique, tout en intégrant les réalités socio-économiques. La dynamique des innovations sociales et financières devrait servir à construire des solutions pour initier des partenariats visant à une Méditerranée « dé-carbonée » basée sur des principes de solidarité et de convergence économique. Les pays Mediterranéens devraient ainsi coopérer et échanger leurs bonnes pratiques. Enfin, face au problème des données disponibles (insuffisantes ou obsolètes), il est nécessaire d’établir une cartographie des outils à disposition et de procéder à leur évaluation, et de créer un observatoire sur les données climatiques pour permettre un meilleur suivi de l’évolution des pays.
Dr. Myriam Ben Saad (Université Panthéon-Sorbonne, Université du Sud Toulon-Var, FEMISE): «Soutenir le développement des énergies renouvelables à l’aide d’instruments économiques en Méditerranée» (présentation disponible ici)
La région MENA détient le plus grand potentiel solaire et éolien du monde, ce qui représente une opportunité en termes de marché, d’infrastructures, de transfert d’énergies. Les enjeux sont la sécurisation des sources d’énergies d’une part (la région faisant face à une rareté des ressources en eau), et la diversification énergétique et économique d’autre part (source d’emplois, potentiel au niveau des chaines de valeur).
Après un aperçu de la littérature existante, trois variables d’intérêts reviennent régulièrement : les énergies renouvelables, l’investissement dans ces énergies, et l’effet des énergies renouvelables sur l’environnement.
Des études montrent que les politiques et les instruments favorables aux énergies renouvelables aident à promouvoir et à diversifier ces énergies, ainsi qu’à encourager l’investissement (bien que l’efficacité varie selon le type de politique mis en place et le niveau de revenu des pays). De telles politiques implémentées en Chine ont favorisé l’émergence d’un marché des énergies renouvelables plus efficient, avec un meilleur accès aux ressources financières et aux nouvelles technologies, et les taxes ont permis de promouvoir l’énergie solaire dans les villes andalouses.
La littérature est plus riche concernant l’effet des énergies renouvelables sur l’environnement. Une estimation sur 24 pays Méditerranéens montre que les énergies renouvelables ont un effet très positif sur la croissance, mais les politiques d’énergies renouvelables demeurent insuffisantes dans ces pays. Des études identifient une relation bidirectionnelle entre consommation d’énergies renouvelables et commerce d’une part et croissance économique d’autre part. D’autres papiers montrent l’impact positif des énergies renouvelables sur la réduction des émissions de CO2, sur la création d’emploi à court terme.
La production d’électricité à partir d’énergies renouvelables a doublé entre 2008 et 2015, mais sa part dans la production totale d’électricité à déclinée à cause d’une croissance de la production d’électricité issue d’énergies fossiles supérieure à celle issue d’énergies renouvelables.
De fortes disparités demeurent parmi les pays. L’Arabie Saoudite ne semblait pas produire d’électricité à partir d’énergies renouvelables en 2015, alors que la part d’électricité produite à partir de ces énergies était supérieure à 30% du total en Turquie et à 15% du total au Maroc.
Les pays Méditerranéens ont des stratégies de diversification plus ou moins poussées : le Liban et la Syrie reposent presque exclusivement sur l’énergie hydraulique, alors l’Algérie et la Turquie intègrent aussi d’autres sources comme le solaire, l’éolien, le géothermique… Au Maroc, les sources d’énergies renouvelables sont équilibrées entre éolien et hydraulique (50-50) mais un biais potentiel dans les données est suspecté (les projets solaires ne semblent pas pris en compte).
Plusieurs initiatives de coopération régionales et PPP ont été menés pour des projets d’énergies renouvelables.
La BERD a récemment financé la centrale solaire de Benban en Egypte (2017). Ce projet doit permettre de réduire les émissions de CO2 et de créer des emplois dans une région où 50% de la population est sous le seuil de pauvreté. Aussi, Engie a investi dans la construction d’un parc éolien dans le Golfe de Suez (2017). De plus, le partenariat Maroc-Espagne a permis la construction d’une usine de fabrication de pales d’éoliennes à Tanger, représentant un potentiel de près de 600 emplois.
Parmi les initiatives régionales, le Plan Solaire Méditerranéen a mis en place un cadre politique favorable au déploiement des technologies d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique à l’échelle régionale. Le Centre Régional pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique vise à favoriser et à conforter l’adoption de pratiques d’énergies propres dans la région. La Conférence MENA sur les énergies renouvelables est un cadre dédié à la promotion et au renforcement des partenariats en matière de développement et de création de marchés des énergies solaires et éoliennes.
Le cadre d’action est composé de politiques réglementaires (tarif d’achat, quotas obligatoires, facturations nettes…), d’incitations financières et de financement public (subventions, crédits d’impôts, taxes…)
Par exemple, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont instauré un tarif d’achat pour l’électricité renouvelable, des subventions pour l’investissement dans les énergies renouvelables, ainsi que des systèmes de facilitation d’accès au crédit (bonification du taux d’intérêt, fonds de garantie, lignes de crédits). Le Maroc et la Tunisie ont aussi mis en place des incitations fiscales (droits de douane réduits ou exemption de TVA pour les équipements)
Les barrières aux énergies renouvelables identifiées sont les caractéristiques du Marché (taille réduite, rendements faibles, temporalité du risque, risque de change, les subventions aux énergies fossiles, absence de stratégie de développement énergétique…) et les risques météorologiques et technologiques (disponibilité aléatoire des ressources, manque de données actuarielles).
Une hausse significative des investissements dans les infrastructures d’énergies renouvelables, et la révision du système de subvention (en particulier supprimer les subventions aux énergies fossiles, contrainte majeure pour l’efficacité des énergies renouvelables) sont recommandées.
Pr. Mohamed Salah Matoussi (Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Tunis, FEMISE) : «Prix et marchés actuels et potentiels de l’eau en Tunisie et dans le SASS: impacts sur l’allocation régionale, les exportations alimentaires et l’efficacité technique» (présentation disponible ici)
Une distinction est nécessaire entre l’utilisation de l’eau dans le secteur agricole (en tant que facteur de production devant être régit par la loi de rareté) et l’eau potable consommée par les ménages (en tant que bien vital non soumis à la loi du marché). Une gestion décentralisée de l’eau est plus pertinente.
La Tunisie subit un stress hydrique sévère, du fait de la raréfaction et de la dégradation des ressources en eau (changement climatique, surexploitation des eaux souterraines…) Les ressources en eau disponibles ont ainsi fortement diminuées (plus de 1000 m3/an/hab en 1960 à 410 m3/an/hab en 2017)
La stratégie de gestion de l’eau, axée essentiellement sur une gestion de l’offre (où les coûts marginaux sont rapidement croissants), consiste en une mobilisation maximale des ressources pour que le développement du pays soit le moins entravé, les priorités définies étant la construction et la réhabilitation de barrages et lacs collinaires, le recyclage des eaux usées…
Le Projet de Système aquifère du Sahara septentrional concerne une des plus grande nappes du monde et s’étend sur l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il représente en 2017 une surface irriguée d’environ 300 000 Ha et une mobilisation d’eau entre 3 et 4 Milliards de m3. L’utilisation actuelle de la nappe est supérieure à ses capacités de renouvellement, et cette surexploitation impacte négativement les Oasis. Une gestion durable de l’eau est donc indispensable. Mais la philosophie initiale des 3 pays concernés était de mobiliser le maximum d’eau pour produire la quantité maximale de produits agricoles.
On retrouve trois schémas d’exploitations : les exploitations ayant un accès libre à l’eau, les exploitations publiques bénéficiant d’une eau subventionnée, et les exploitations privées ne bénéficiant pas de subventions. Ces dernières sont plus productives que les exploitations libres ou subventionnées, et valorisent au mieux la ressource : les exploitants privés ont une élasticité-prix et une élasticité-productivité de l’eau biens supérieures aux autres types d’exploitations.
Cette politique n’étant pas soutenable, elle devrait être remplacée par une approche de gestion intégrée et transversale des ressources disponibles (eau, énergie, agriculture, environnement) basée sur le nexus suivant : tarification l’énergie – tarification de l’eau – accroissement de la production agricole et meilleure conservation de la ressource.
Un nouveau modèle hydro-économique doit être utilisé pour la gestion de la ressource en eau. Il doit mener à une utilisation optimale de l’eau et à une maximisation de la production agricole, tout en intégrant la contrainte du coût de la dégradation environnementale (coût de pompage et, salinité de l’eau). Lorsque ce coût est internalisé, les quantités d’eau consommées et la surface irriguée optimales sont inférieures à celles obtenues dans le modèle où la dégradation n’est pas prise en compte, mais les revenus agricoles sont supérieurs (augmentation de 13% par rapport au modèle initial). En d’autres termes, en préservant la ressource, on produit plus.
Présentation de recherches récentes (voir le powerpoint pour plus de détails)
Un article modélise le problème de l’allocation des ressources en eau au secteur agricole, dans un univers de rareté de la ressource et d’information incomplète. Un tel modèle doit assurer une efficacité économique tout en prenant compte de contraintes inévitables : utilité pour les usagers au moins équivalente à celle dont ils bénéficiaient par le passé, disponibilité de plus en plus réduite de la ressource, et information incomplète sur sa valeur d’usage. Il est ainsi nécessaire de révéler la valorisation réelle des agriculteurs et d’intégrer le coût de la rareté dans la tarification de la ressource.
Un deuxième article évalue l’impact d’une augmentation du prix de l’eau sur la production et l’exportation de cultures irriguées (dattes et agrumes) : pour une hausse de 100% du prix, les cultures de dattes sont plus négativement impactées que les cultures d’agrumes (diminution des exportations de 17.5% et 4.4% respectivement). La mise en place une tarification appropriée de l’eau pour les exploitants d’agrumes permettrait de conserver la ressource sans impacter significativement les producteurs. En revanche, une augmentation des tarifs dans les zones où la datte est cultivée provoquerait un ralentissement très significatif de la production et de l’exportation.
Un dernier article mesure l’efficacité des cultures de dattes tenues par des exploitants privés d’une part, et par des associations d’usagers d’eau d’autre part. Les résultats montrent que les deux systèmes sont inefficaces, mais des exploitations privées légèrement plus efficaces que les exploitations associatives. Les résultats montrent également que la salinité de l’eau a un impact fortement négatif sur la productivité des cultures de dattes.
par Jocelyn Ventura (FEMISE)