Charbel Nahas, économiste et ancien ministre du travail au Liban, intervenait sur le sur le thème de la «Migration et crise des réfugiés dans l’UE-Med: l’aube d’une ère de responsabilité partagée ? », lors de la conférence annuelle du Femise qui s’est tenue les 29 et 30 avril 2017 à Casablanca.
La Syrie a-t-elle atteint le paroxysme de la crise ? Quels sont les scénarios possibles ?
Je ne vois pas de stabilisation imminente de la situation en Syrie : Le territoire syrien est en passe d’être découpé en zones d’influence. L’intervention directe des Américains en Syrie constitue en ce sens un développement majeur. Les Russes et les acteurs régionaux (Iran, Turquie) sont en train d’intervenir tout comme Israël, au sud du pays. Ces pays n’ont pas intérêt à trouver une solution immédiate.
Existe-t-il un risque de contagion aux pays voisins ?
Les divergences entre les Russes et les Iraniens, bien que cachées, sont réelles. Je ne pense pas que la crise syrienne aille vers un dénouement proche, malheureusement. Nous ne sommes pas encore sortis de la crise et de nouvelles menaces surgissent. L’Irak donne le ton avec la création du Kurdistan et sa reconnaissance implicite. Nous pouvons craindre un émiettement accentué de l’espace syrien. Le président Erdogan a dénoncé à plusieurs reprises l’accord de Lausanne. Il remet en cause la base légale formelle de la définition des frontières dans la région. La France et la Grande-Bretagne, signataires de cet accord, n’ont pas réagi à cette dénonciation.
Quel parallèle constatez-vous entre les guerres civiles au Liban et en Syrie ?
Je note des différences importantes. Plus le pouvoir est concentré, moins il compte de filets subétatiques. Dans ce cas, l’effondrement du régime s’avère brutal. L’État libanais, par sa structure, s’adapte mieux à une situation de guerre. L’Etat syrien, plus fort, s’avère donc plus fragile. Une fois son emprise rompue, les structures subétatiques institutionnelles n’ont pas servi de filet. Nous pouvons faire un parallèle entre la Tunisie et l’Égypte, ou la Syrie et la Lybie. En Tunisie, la présence de l’administration, des universités, des syndicats constituent des filets permettant d’atténuer les effets de l’effondrement du régime. Au Liban, la société a su s’adapter rapidement à la situation, ce qui n’a pas été le cas en Syrie où les dégâts sont dévastateurs.
Quelle leçon la Syrie peut-elle tirer de l’exemple libanais dans sa phase de reconstruction ?
Les Syriens peuvent faire l’économie de ce que nous avons vécu pendant la période de reconstruction. Les chefs de guerre au Liban se sont partagés le pays aux côtés des affairistes des pays du Golfe venus avec des milliards. Ils ont entériné les effets de la guerre. Nous pouvons craindre une situation similaire en Syrie.
Quel regard portez-vous de la gestion de la crise des réfugiés syriens par le Liban ?
Le Liban n’a pas de stratégie de gestion des réfugiés Syriens. Convaincu d’une issue imminente en Syrie, le Liban a laissé entrer un million et demi de Syriens sans même enregistrer leur passage.
Nous ne pouvons gérer ce déplacement de population comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle. Le côté massif de cet exode induit une reconfiguration de l’espace. Considérer la question des réfugiés comme un problème seulement accidentel ou humanitaire me paraît naïf, voire dangereux. Cela revient à entériner les conséquences des faits et les admettre.
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Interview réalisé par Nathalie Bureau du Colombier en partenariat avec Econostrum lors de la Conference FEMISE de 2017- Photo par Nathalie Bureau du Colombier.
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