Professeur de Finances Internationales à l’Université de Tunis, institution membre de FEMISE, expert et consultant International, Sami Mouley analyse les incidences immédiates et à moyen terme de la révolution tunisienne sur l’économie du pays. La marche vers la démocratie ne se fera pas sans casse…
Econostrum : Quels sont les risques de dégradation de la situation macroéconomique ?
Samy Mouley: La Tunisie est dépendante de ses recettes tirées du tourisme et des investissements étrangers. La baisse de la fréquentation couplée à la lenteur du cycle macroéconomique et au freinage de la dynamique des exportations du secteur offshore constituent une nouvelle donne de la fragilité du pays. La croissance du Produit intérieur brut (PIB) à prix constants perdra au moins 3,7 % par rapport au taux prévu et n’atteindra au maximum que 1,6 % pour la fin de 2011.
La crise politique a révélé un capitalisme de copinage lié aux privilèges, face cachée de la concurrence voulue par les autorités. Ce qui explique le paradoxe d’un taux de croissance important qui ne permet pourtant pas de juguler le chômage. Il dépasse 30% pour les jeunes diplômés.
La dette publique va s’accroître. Elle atteindra plus de 49% du PIB contre 42,3% prévu. La dette extérieure demeure assez élevée. Elle se situait déjà à plus de 48 % du PIB avant la révolution du 14 janvier 2011. Nos estimations montrent que la dette externe dépassera 56% du PIB contre 43,8% prévue en 2011 avant la crise.
E: Peut-on dresser un état de la gestion des dépenses publiques et des réserves de change ?
SM: La relance budgétaire programmée portera le déficit budgétaire à plus de 3% du PIB, ce qui représentera un déficit supplémentaire estimé à 730 M€.
Sur l’ardoise a été effacé la mobilisation de 232 M € au titre de l’opération d’allocation de DTS (*) fournie par le Fonds monétaire international, ce qui présuppose un déficit net supplémentaire de près de 498 M€.
C’est là peut-être l’enveloppe qui pourrait être sollicitée au titre d’un fonds de gestion de crise dans un cadre multilatéral, ou dans le cadre spécifique de l’Union Pour la Méditerranée.
E: Qu’en est-il du climat des affaires et des conditions d’attractivité ?
SM: Les difficultés patentes du climat des affaires et les déficits d’attractivité de notre économie se sont révélés des facettes négatives « cachées » du « miracle » tunisien. La crise politique en Tunisie a enfin dévoilé des déficiences généralisées de la pratique des affaires, comme d’ailleurs des gouvernances économiques et institutionnelles.
La faible attractivité tient à la lenteur des réformes en matière d’ouverture des marchés de services et de la qualité moyenne des institutions, comme en témoigne l’indice de perception de la corruption.
Plusieurs blocages subsistent : qualité médiocre de la régulation (contrôle des prix, contraintes au commerce extérieur et au développement des affaires) et de la responsabilisation, difficultés croissantes d’accès des opérateurs aux sources de financement bancaire, faible protection des investisseurs, poids de l’économie informelle et du commerce parallèle, lourdeurs dans l’exécution des contrats, manque de flexibilité des marchés du travail etc…
(*) Droits de tirage spéciaux
Photo Econostrum-DR
Interview de Nathalie Bureau du Colombier, Econostrum. Vous pouvez retrouver la rubrique « Grand Angle» et les articles correspondant à l’adresse suivante :www.econostrum.info. L’inscription à la newsletter d’econostrum est accessible par :http://www.econostrum.info/subscription/