Une vingtaine d’économistes membres du Femise, ainsi que des représentants d’institutions internationales (AFD, OCDE, Banque Mondiale, BEI…) se sont retrouvés vendredi 7 juin 2013 à Paris, pour un échange autour de l’ouvrage collectif publié par le Femise et le CEPR, «The Arab Spring: Implications for Economic Integration».
La doxa du libre-échange débridé, comme voie royale vers la croissance et le bonheur supposé des peuples, aurait-elle perdu sa superbe de naguère ? C’est en tout cas ce à quoi incitent à penser les propos de plusieurs intervenants de la réunion du vendredi 7 juin 2013 à Paris proposée par le Femise (Forum Euroméditerranéen des Instituts de Sciences Économiques) et le CEPR (Center for Economic and Policy Research) autour de l’ouvrage « The Arab Spring : Implications for Economics Integration.»
Le ton est d’ailleurs donné dès l’exposé liminaire de Michael Gasiorek, maître de conférence en économie à l’université du Sussex (RU), membre du Femise, coauteur et coordinateur de l’ouvrage : avant de passer à la libéralisation des échanges, il convient qu’un pays fasse sa mise à niveau, déclare-t-il en substance.
Et cela peut s’avérer très douloureux pour les gouvernants en place, car libéraliser revient à perdre de la souveraineté. Ou, comme l’exprime plus crûment Ahmed Galal, président du Femise : en ouvrant leur système économique au libre-échange, « les gouvernants ne peuvent plus si facilement favoriser leurs amis ». En une phrase, c’est tout le système de l’économie des copains et des coquins, du népotisme, de l’opacité, de la spoliation et de la rente qui est ici dénoncé.
Bernard Hoekam, professeur à l’Institut européen de Florence, souligne pour sa part que « tous ces pays [du printemps arabe] sont en sous-performance. Et si les échanges intra-Maghreb sont largement insuffisants, leur coût est trois fois supérieur à celui de l’Europe du sud. »
En revanche, relève Patricia Augier, coauteure de l’ouvrage et directrice adjointe du Comité scientifique du Femise, les MNT (mesures non-tarifaires) dans les pays MENA « se situent largement en dessous de celles de l’Union européenne ». Conséquence : non seulement la « forteresse Europe » défend ainsi l’accès à ses marchés, provoquant de fait une compétition asymétrique, mais en plus elle contraint les pays du sud à des surcoûts pour assurer la mise aux normes européennes de leurs produits destinés à l’export. Par exemple, ce surcoût est estimé à 60 % pour les chaussures de plage.
Qui seront les perdants et qui seront les gagnants
De l’avis unanime, le constat de la coopération euroméditerranéenne, dix-huit ans après le lancement du processus de Barcelone, n’est pas brillant, c’est le moins que l’on puisse dire.
Le professeur Jean-Louis Reiffers, président du comité scientifique du FEMISE et de celui de l’Institut de la Méditerranée (Marseille), avec le franc parler qui lui est coutumier, enfonce encore le clou : “Compte tenu de l’état du sud, l’avenir immédiat n’est pas au libre-échange. Que l’on me comprenne bien : j’y reste attaché, mais si l’on préconise aujourd’hui plus de libre-échange, on passe pour des plaisantins… d’autant que, comme vous le savez, l’Europe réalise son plus important excédent commercial dans le sud méditerranéen. Dans nos préconisations, il nous faut donc toujours penser à qui seront les perdants, et qui seront les gagnants! Et agir comme un médecin qui voit arriver une épidémie. »
Bref, les printemps arabes auront aussi ébranlé les anciennes certitudes des économistes. Reste à espérer que leur remise en question s’avérera salutaire pour l’avenir de la coopération euroméditerranéenne.
Article de Alfred Mignot, Econostrum, 12 juin 2013