A partir des années 1970, l’Egypte et le Maroc se sont engagés dans un processus de libéralisation des échanges et de réformes économiques. Concernant l’Egypte, la politique de «porte ouverte » des années 1970 fut la première étape qui a été suivie par la signature de divers accords commerciaux jusqu’à ce qu’en 1991, le gouvernement égyptien ait adopté le programme de réforme économique et d’ajustement structurel. Ce dernier incluait l’élimination des déséquilibres budgétaires et extérieurs, la stimulation des échanges commerciaux et du taux de change, le développement du secteur financier visant à libéraliser l’économie et la promotion d’un programme de privatisation très ambitieux. Alors qu’au niveau du Maroc, l’adoption du programme d’ajustement structurel eut lieu dans les années 1980. Réorienter l’économie vers la production de biens échangeables était le principal objectif de ce programme. Simultanément, à partir de 1984, une politique de promotion des exportations fut implémentée menant à la libéralisation du commerce en 1986 et la signature de plusieurs accords d’association. De surcroît, un vaste programme de privatisation des entreprises publiques est mis en œuvre à partir de 1989.
Les initiatives de libéralisation du commerce dans les deux pays ont pris des formes diverses: accords unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux et a tenté d’introduire plus de concurrence étrangère sur les marchés nationaux auparavant protégés, supprimer les distorsions et améliorer l’efficacité économique tant au niveau macroéconomique qu’au niveau des firmes individuelles. Nous mettons l’accent sur les implications de cette restructuration économique, notamment la libéralisation du commerce, sur le marché du travail égyptien et marocain. Plusieurs aspects du marché du travail sont pris en considération, à savoir: le chômage, les salaires et la qualité d’emploi. En effet, nous examinons la stratification du marché du travail selon le sexe, l’éducation et le secteur au cours d’une période de réformes commerciales dans les deux pays.
Nous avons d’abord examiné l’impact de la libéralisation commerciale sur la structure du marché du travail dans les deux pays dans le chapitre II. Durant la transition des deux pays, le changement sectoriel dans l’emploi fut un aspect important du marché du travail. Ainsi, nous avons trouvé que l’Egypte et le Maroc ont entrepris des réformes économiques et commerciales qui ont eu un impact significatif sur leurs marchés du travail. Dans les deux pays, les parts du secteur public dans l’emploi total ont chuté, mais l’impact a été plus important en Egypte caractérisée par une prédominance du secteur public. Durant les années 1990, le Maroc a connu une baisse de la part de l’agriculture et une augmentation de la part du secteur manufacturier. En Égypte, non seulement la part de l’agriculture a diminué, mais aussi celle du secteur manufacturier au profit d’une expansion des services. En outre, il n’y avait pas de tendance vers la féminisation des secteurs à prédominance masculine en Egypte. En fait, les secteurs dominés de façon disproportionnée par les femmes (autres que les services civils) ont connu une déféminisation. En revanche, les secteurs féminisés au Maroc, surtout le textile et l’habillement, se sont accrus de manière. Ces tendances contradictoires en Égypte et au Maroc sont expliquées par les différences de structure entre les deux pays au niveau des recettes en devises. Alors que le Maroc s’est basé sur l’exportation des biens manufacturés intensifs en main-d’œuvre, l’Égypte est devenue plus dépendante des exportations de services comme le tourisme.
De plus, les deux pays, au cours de leur transition, ont connu une augmentation du niveau du taux de chômage. Toutefois, les raisons sous-jacentes sont différentes. Alors qu’au Maroc, cette hausse était le résultat d’une restructuration du marché du travail, en Égypte, une plus grande majorité des chômeurs étaient de nouveaux entrants. Ces répercussions ont été ressenties de façon inégale étant donné la stratification du marché du travail dans les deux pays. Ainsi, les femmes, les jeunes et les personnes qualifiées étaient parmi les plus touchés de la population active.
Deuxièmement, dans le chapitre III, deux questions majeures sont examinées : d’une part, quels sont les facteurs qui déterminent la probabilité de sortir du chômage, et d’autre part, si cette probabilité a changé en Égypte pendant la période des réformes. Nous avons aussi étudié la durée du chômage de différents groupes pour voir si quelques groupes ont connu plus longues durées de chômage, et donc, un faible taux de hasard pour sortir du chômage au cours de la période de transition. Nous avons constaté que, au cours de la période en question, la probabilité de sortir du chômage pour entrer dans le secteur public a diminué, tandis que celle de sortir du chômage vers le secteur privé informel a augmenté. L’éducation était le principal déterminant de ces mouvements vers le secteur public avec un taux de hasard similaires pour les hommes et pour les femmes dans les années 1970. En revanche, au cours des années 1990, les taux de hasard ont augmenté plus pour les hommes éduqués que pour les femmes de même niveau d’éducation. Concernant les sorties du chômage vers l’emploi informel, le genre était le principal déterminant vu que les hommes sont plus susceptibles de sortir du chômage vers le secteur privé informel que les femmes, indépendamment de leur niveau d’éducation. Malgré une hausse au cours des années 1980 par rapport aux années 1970, le taux de hasard de sortie du chômage vers l’emploi privé formel a été plutôt stagnant dans les années 1990 pour les hommes. Quant aux femmes, la probabilité d’avoir un emploi au sein du secteur privé formel est quasiment égale à zéro et n’a guère changé au cours des trois dernières décennies. En outre, les résultats indiquent que le déterminant le plus important de sortir du chômage est l’éducation. En effet, cette dernière est positivement corrélée avec la sortie du chômage vers le secteur public et négativement corrélées avec la sortie du chômage vers le secteur informel.
Dans le chapitre IV, nous examinons l’interaction entre l’éducation et le secteur institutionnel en tant que déterminants de la stratification des revenus de travail au cours de la transition. La principale conclusion est la suivante : au Maroc et en Egypte, l’impact des rendements de l’éducation sur les salaires pendant l’ère de l’ajustement structurel a diminué. Cela est notamment dû à une éducation technique de faible qualité qui sert à resserrer la structure des salaires. Nous illustrons cela en mettant en évidence deux tendances divergentes. Au Maroc, l’éventail des salaires s’est resserré et, en général, le différentiel des salaires entre le secteur privé et celui public a diminué, surtout pour les travailleurs ayant des diplômes techniques ou universitaires. Simultanément, les salaires réels dans le secteur public ont stagné. D’autre part, l’expérience égyptienne a connu une polarisation des salaires dans les deux secteurs, avec des tendances presque symétriques pour les hommes et les femmes. La disponibilité des données plus récentes pour l’Egypte, à savoir celles de 2006, permet une analyse plus détaillée des rendements de l’éducation pendant une période de libéralisation rapide du commerce. Les résultats montrent qu’en Egypte, les rendements de l’enseignement technique diminuent par rapport à la distribution des salaires. Ceci implique que l’éducation technique a un impact négatif sur les inégalités au sein des groupes de salaires comme l’éventail des rendements a diminué pour les niveaux d’enseignement supérieurs. Une explication possible est qu’il existe une interaction entre la scolarité et la capacité : les moins capables peuvent profiter davantage de leur scolarité réduisant ainsi l’écart de rémunération entre eux et leurs homologues plus capables pour les niveaux d’éducation élevés. Les rendements de l’éducation universitaire par rapport à ceux de l’éducation technique ont beaucoup augmenté, en particulier pour les hommes dans le secteur non gouvernemental. Pour ce groupe, l’enseignement universitaire a un impact décentralisant sur la distribution des revenus. Ainsi, même dans un environnement de baisse des rendements au niveau universitaire, la dernière décennie a vu une grande stratification entre les groupes de revenu en Egypte. Les groupes à revenus élevés semblent être en mesure d’utiliser le capital social, ce qui leur a permis de bénéficier pleinement de l’enseignement universitaire, notamment dans le secteur privé. D’autre part, les personnes détenant un diplôme secondaire technique, et caractérisées par des revenus et des réussites scolaires plus faibles, sont incapables de tirer profit de leur éducation qui pourrait déboucher sur une mobilité économique. Les tendances ci-dessus sont compatibles avec une histoire du déclin des entreprises publiques et du secteur manufacturier au cours d’une ère de libéralisation commerciale.
Dans le chapitre V, nous enquêtons ces tendances en focalisant l’analyse sur les secteurs manufacturiers au Maroc et en Egypte au cours de leur période respective de la libéralisation des échanges. Ceci est rendu possible en utilisant les mêmes données de travail utilisées dans les chapitres précédents et fusionnées avec les données du commerce (au niveau industriel de deux chiffres). Ces dernières incluent l’orientation à l’exportation, la pénétration des importations et les changements de tarifs moyens captant le changement de politique commerciale. Toutes ces données fusionnées sont utilisées ensemble pour estimer un modèle de prime de salaire interindustriel. Les résultats indiquent que pour l’Egypte et le Maroc, après avoir tenu compte des caractéristiques observables des travailleurs, les industries ayant une forte protection tarifaire paient des salaires plus bas pour leurs travailleurs. Malgré l’importance de la promotion à l’exportation (telle que mesurée par la part des exportations dans la production totale de chaque branche d’activité) qui est la composante la plus importante de la réforme commerciale dans les deux pays au cours de la période en question, cette dernière ne s’est révélée un déterminant significatif des salaires que dans le cas de l’Egypte. De surcroît, l’orientation à l’exportation et la variation de celle-ci sont à la fois significatives et positivement corrélées aux salaires en 2006. En d’autres termes, la libéralisation des échanges sous forme de réduction tarifaire et l’ouverture commerciale en termes d’orientation à l’exportation (mais pas la pénétration des importations qui n’est pas significative) semblent exercer une influence positive sur les salaires pour le travailleur moyen dans le secteur manufacturier en Egypte. Des différences intéressantes tant au niveau du genre qu’au niveau des secteurs sont observées. Au Maroc, seuls les travailleurs des entreprises privées ont gagné, alors que les entreprises publiques ont connu une réduction substantielle des salaires à cause de la libéralisation. Par contre, en Egypte, les deux types de travailleurs ont gagné, et les gains sont encore plus élevés pour les travailleurs des entreprises publiques. La dimension du genre semble être cohérente dans les deux pays avec les femmes qui tirent profit de la libéralisation des échanges plus que leurs homologues masculins. Cela tend à confirmer les théories de Gary Becker qui a montré qu’une concurrence accrue à travers le commerce réduit la possibilité d’avoir une discrimination contre les travailleurs féminins.
Finalement, le chapitre VI traite de la qualité des emplois en l’Égypte afin de voir dans quelle mesure les emplois mieux rémunérés résultant de la réforme du commerce pourraient aussi correspondre à la description des emplois étant «décent» ou de «meilleure qualité». Nos résultats soulignent que les facteurs institutionnels de la qualité de l’emploi (sécurité sociale, assurance médicale, contrat, congés payés occasionnels, congés de maladie payés, et si le travailleur est membre d’un syndicat) ont la plus forte corrélation avec les variables du commerce utilisées dans l’analyse. La réduction des tarifa en soi, ne semble pas avoir eu un impact significatif sur les salaires ou la qualité des emplois au cours de cette période. En revanche, l’augmentation de l’orientation à l’exportation exerce un impact positif sur les salaires, mais un impact significativement négatif sur tous les indices de qualité des emplois dans de nombreuses spécifications. Enfin, les industries caractérisées par les niveaux de pénétration d’importation les plus élevés ont la qualité des emplois la plus faible, mais celles qui ont connu la plus forte augmentation de la pénétration des importations ont également connu une amélioration de la qualité des emplois. Les résultats ci-dessus soulignent la nette distinction des différentes conséquences sur le salaire et la qualité des emplois sur le marché du travail égyptien, et l’importance de séparer les deux lors de l’examen de l’effet de la politique commerciale sur le travail dans la région MED en général.
Pour conclure, on peut constater que la stratification des marchés du travail égyptien et marocain, comme en témoignent le mouvement des salaires, l’accès à l’emploi et le rendement de l’éducation au sein des différents secteurs économiques et entre les caractéristiques démographiques, s’améliore de manière générale au cours de la période en question. Il s’est avéré aussi que les rendements des femmes augmentent et que la distinction économique entre les hommes et les femmes se réduit. Toutefois, ces progrès ont lieu dans un contexte d’une hausse progressive des difficultés économiques et sociales, de sorte que certains groupes deviennent simplement «moins pires» que leurs homologues au cours du temps. C’est particulièrement le cas lorsque l’on examine les données relatives à la qualité de l’emploi, mesurée par la formalité et la stabilité de l’emploi en Egypte. De manière significative, cette étude a montré que les facteurs démographiques comme le genre, l’éducation et la géographie influencent les salaires, à un degré qui dépasse souvent les variables de réforme commerciales plus tangibles. Compte tenu de cela, il existe évidemment des forces culturelles ou historiques influençant la position des femmes, l’accès à l’éducation et la répartition géographique de la pauvreté sur les marchés du travail des pays en développement, et notamment dans la région MED. Remédier à un tel problème ne réside ni dans une simple libéralisation des marchés internationaux ni dans une libéralisation interne, mais nécessite une réforme interne de l’économie politique visant à produire une structure judiciaire crédible et un système éducatif assurant l’égalité et éliminant toute segmentation injuste du marché de travail.