Impact des transferts de fonds sur la pauvreté et les inégalités : les enseignements de deux nouvelles enquêtes conduites au Maroc et en Algérie

FEM33-22 | Avril 2013

Titre

« Impact of Remittances on poverty and inequality: Lessons from two new surveys conducted in Morocco and Algeria »

Par

E.M. Mouhoud, Professeur à l’Université Paris Dauphine E.M. Mouhoud, Professeur à l’Université Paris Dauphine

Contributeurs

CREAD Algérie (Nacer Eddine Hammouda) Institut Universitaire de la Recherche Scientifique Université Mohammed V Souissi (BAHANI Abdelkabir et HANCHANE Hicham) Centre d’Economie de Paris Nord Université de Paris 13 (Luis Miotti, Joel Oudinet El Mouhoub MOUHOUD) LEDa-DIAL Université Paris Dauphine (Amal Miftah, E.M. Mouhoud) CATT Université de Pau (Jamal Bouoiyour)

Note :

Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l’Union Européenne au travers du Femise. Le contenu du rapport relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant l’opinion de l’Union Européenne.

Résumé :

La migration est un phénomène démographique de grande ampleur. En effet, les migrants sont aujourd’hui quelques 215,8 millions1, également répartis entre hommes et femmes. Les mouvements migratoires concernent l’ensemble des pays et, même si les pays dits du Sud enregistrent les plus forts taux d’émigration, ce n’est pas uniquement un mouvement de ces pays vers les pays du Nord. En effet, en 2009, 74 millions1 de personnes ont migré d’un pays du sud vers un autre pays du sud, souvent frontalier. Les causes de cette migration Sud-Sud sont multiples : guerres, famines, conditions climatiques ou encore motivations économiques. Concernant les mouvements migratoires du Sud vers le Nord, ils représentent quelques 97,51 millions de personnes dont la motivation principale est bien souvent d’ordre économique ou dans une optique de regroupement familial. Enfin, en 2009, 37,7 millions de personnes1 ont migré d’un pays développé vers un autre pays développé, tandis que 6.5 millions1 sont allées vers le Sud.

Dans la plupart des cas de migration des pays pauvres vers des pays plus riches, les individus cherchent à améliorer leurs conditions de vie. Lorsqu’ils ne migrent pas de manière définitive, ils sont
plus nombreux à envoyer une partie de l’argent gagné dans le pays d’accueil à leur famille restée dans le pays d’origine. Ces transferts d’argent représentent des sommes faramineuses : en 2010, les fonds rapatriés dans les pays en développement s’élevaient à 325 milliards de dollars1. Leur niveau a été multiplié par six depuis 19951. Cet accroissement fulgurant est en partie dû à l’augmentation du nombre de migrants internationaux, mais également à l’amélioration des moyens mis à la disposition des migrants pour effectuer ces transferts. De plus, l’intérêt porté à ce phénomène par la littérature et les pouvoirs publics a entrainé une meilleure prise en compte statistique de ces flux.

Le montant des transferts dépasse largement l’aide au développement en Asie, Amérique Latine, Afrique du Nord et Moyen-Orient, et constituent la principale source de financement extérieur dans
cette dernière région du monde (devant les investissements directs à l’étranger). Les principaux pays récipiendaires sont l’Inde (55 milliards de dollars1), la Chine (51 milliards de dollars*), le Mexique (22,6 milliards de dollars1) et les Philippines (21,3 milliards de dollars1) : ces montant records s’expliquent par leur très fort taux d’émigration. Pour certains pays, ces transferts d’argent constituent des ressources financières considérables puisqu’ils représentent une part très importante de leur produit intérieur brut : en 2009, les transferts représentaient 35% du PIB au Tadjikistan1, 28% au Tonga1 et 25% au Lesotho1, rendant ces pays véritablement dépendants de la migration.
En plus de représenter des sommes considérables, les transferts constituent le seul revenu extérieur
directement reversé aux ménages. Ils ont un impact très important sur le bien-être des récipiendaires dans des pays où la pauvreté est très présente. De plus, ces fonds sont très stables, et leur caractère contra-cyclique permet aux bénéficiaires de faire plus efficacement face aux crises auxquelles ils sont confrontés.

L’importance des sommes en jeu a récemment relancé la littérature sur le vaste sujet de l’impact des
envois de fonds dans le pays d’origine. Les thèmes abordés sont multiples mais un sujet encore
particulièrement analysé et débattu concerne l’impact des transferts sur la pauvreté et la répartition des revenus dans le pays d’origine. La littérature s’est emparée de ce sujet depuis plusieurs années et cherche à savoir si cet argent, directement reversé aux ménages, permet aux populations des pays en développement de sortir de la pauvreté et de rendre la société plus égalitaire.

Notre étude répond à la question de l’effet des migrations sur la pauvreté et les inégalités à partir de la réalisation de deux enquêtes ménages originales réalisées au Maroc et en Algérie. Nous utilisons deux enquêtes originales que nous avons menées en Algérie et au Maroc auprès d’un échantillon de
ménages ayant ou non des migrants et recevant ou non des transferts des migrants ? Nous comparons les niveaux de pauvreté et d’inégalités prévalant aujourd’hui, à ceux estimés pour une situation sans migration ni transfert dans laquelle les migrants seraient réintégrés à la vie locale. La première partie présente les travaux sur les deux régions algériennes présentant des taux d’émigration élevés la Kabylie et la région de Tlemcen.

 

* Données pour l’année 2009 provenant du Migration and remittances factbook 2011