Cette étude est une contribution à la compréhension de plusieurs phénomènes peu étudiés relatifs à la migration. Le point de départ était une tentative d’explication des facteurs déterminants de la migration Turque vers l’Allemagne[1], conformément à des recherches similaires réalisées par Hatton (1995) et Mayda (2007). Un important flux financier allant de pair avec la migration est l’envoi de fonds par les travailleurs expatriés. Comme une étude de cas, nous avons analysé les facteurs déterminants de la migration Turque vers l’Allemagne. En outre, nous avons effectué des recherches sur les interactions cycliques entre ces rapatriements de fonds et la production (PNB/PIB) aussi bien en Turquie qu’en Allemagne. Nous avons également analysé l’impact des réformes économiques appliquées dans les années 1980 et l’Accord d’Union Douanière (AUD) de 1996 sur le commerce intra-industriel entre la Turquie et l’Union Européenne. Enfin, nous avons analysé le rendement des immigrants Turcs dans leur pays hôte à l’aide de micro-données (Microzensus) de l’Office Allemand de la Statistique.
Des accords de recrutements entre l’Allemagne et la Turquie furent à l’origine des premiers flux migratoires. Toutefois, les mouvements migratoires qui ont suivi avaient des dynamiques et mécanismes propres, tels le regroupement familial et les demandes d’asile. Ce changement de structuren’obéissait plus aux politiques allemandes de l’immigration. Nous avons développé de manière parcimonieuse une unique équation conditionnelle. Ceci est un modèle de correction d’erreurs qui possèdent des coefficients bien défini et stable (Akkoyunlu 2007a). Nous nous sommes servis des données annuelles de 1962 à 2004 pour expliquer la migration Turque vers l’Allemagne. Un seul vecteur de co-intégration est trouvé entre le produit des flux migratoires ainsi que les variables explicatives suivantes: le ratio du revenu relatif entre l’Allemagne et la Turquie, le taux de chômage en Allemagne et en Turquie, le ratio de l’aide au PNB, la variable déterminant l’intensité du commerce[2], la proportion des exportations de produits manufacturés par rapport au total des exportations vers l’Allemagne et enfin la part des rapatriements de fonds des immigrés dans le PIB de la Turquie.
Dans l’équation représentant le long terme d’une part, le revenu relatif, le taux de chômage en Turquie, l’intensité du commerce, et le volume des transferts opérés par les travailleurs expatriés contribuent positivement à l’accroissement de l’émigration à partir de la Turquie. D’autre part, le taux de chômage en Allemagne, l’aide et la part des exportations de produits manufacturés dans le total des exportations vers l’Allemagne ont un impact négatif sur l’émigration vers l’Allemagne. A long terme, le différentiel de revenu, l’intensité du commerce et les envois de fonds sont les variables les plus explicatives des flux migratoires. Ainsi une augmentation de 10 pour cent du différentiel de revenu augmente le produit des flux migratoires de 49 pour cent. De même, une augmentation de 10 pour cent du volume du commerce augmente le produit des flux migratoires de 23 pour cent. En comparaison aux résultats d’autres études, cet effet est assez important (Pedersen et al. 2006 et Péridy 2006). Ce résultat pourrait se justifier par le fait que l’Allemagne est le principal partenaire commercial de la Turquie. Nous avons également trouvé qu’une augmentation de 10 pour cent des rapatriements de fonds augmente le produit des flux migratoires de 7 pour cent. Enfin, le signe négatif de la part des exportations manufacturières par rapport à l’ensemble des exportations vers l’Allemagne suggère que le commerce et la migration sont des substituts à long terme.
Pour la dérivation du modèle final (conditionnel) de la spécification initiale qui était plus générale, j’ai pris quelques étapes donnant ainsi lieu à des risques d’erreurs de type II. Cependant, les tests de diagnostic sont satisfaisants, ce qui laisse croire que le modèle conditionnel satisfait aux critères de conception. En particulier le terme de correction d’erreurs qui est très significatif et a le signe attendu.
A court terme, le revenu relatif est le déterminant le plus important des flux migratoires. Une augmentation de 10 pour cent du revenu relatif augmente les flux migratoires de près de 20 pour cent. Cela donne à penser que la pression migratoire persistera jusqu’à ce que cet écart de revenu se réduise. Toutefois, le taux de chômage élevé en Turquie provoque une moins forte pression migratoire. La disponibilité d’emplois en Allemagne par contre pose problème à court terme. La part des exportations de produits manufacturés dans le total des exportations vers l’Allemagne a une influence positive sur l’accroissement de l’émigration. Cela peut s’expliquer en référence aux obstacles financiers liés à l’émigration. L’augmentation des recettes à l’exportation pourrait permettre à quelques travailleurs non qualifiés et à faible revenu de se payer les coûts de l’émigration. En outre, les déplacements et les perturbations qui accompagnent le développement temporairement peuvent aussi déclencher des migrations.
La politique d’aide n’est efficace que pour une réduction des flux migratoires à court terme, et son effet est faible. A long terme, l’aide financière étrangère n’est pas une solution, celle-ci étant en majorité délivrée à la Turquie sous forme de dons et de crédits. Toutefois, si cette aide est subordonnée à de bonnes politiques et consacre une part importante à l’assistance technique et à la formation, elle facilitera le transfert d’expertise et de savoir-faire ainsi qu’un accroissement de l’investissement dans les secteurs productifs. Ainsi, elle contribuera à la valorisation du capital humain, à l’accélération de la création d’emplois et de manière globale à la croissance économique afin que les écarts de revenu entre la Turquie et l’Allemagne se réduisent. A ce moment, la politique d’aide peut avoir un effet durable sur la réduction des flux migratoires.
Enfin, à court terme ainsi que dans le long terme, l’importance du volume des fonds rapatriés par les travailleurs expatriés incite davantage de personnes à émigrer. Les raisons seraient multiples. Les envois de fonds aident à surmonter les obstacles financiers entravant l’émigration, ils constituent une importante source de revenue pour les pays concernés, et pourraient bien avoir pour objet la prise en charge direct d’émigrants supplémentaires dans une famille afin d’accroître les revenus de celle-ci. Ces considérations laissent supposer qu’une économie recevant d’importants revenus fruit de l’immigration génère beaucoup de candidats à l’émigration (Akkoyunlu, Siliverstovs & Stark 2007).
2. Effets de la libéralisation du commerce
Par hypothèse, nous avons supposé que les bienfaits dynamiques de la libéralisation du commerce, diffèrent de ses effets statiques. L’intégration régionale et la libéralisation des échanges peuvent avoir une incidence positive sur la croissance en favorisant l’allocation des facteurs entre les secteurs. Akkoyunlu, Kholodilin & Siliverstovs (2006) ont vérifiés cette hypothèse en analysant le commerce intra-industriel (CII) entre la Turquie et ses partenaires commerciaux. Le CII s’est révélé être un indicateur de développement économique dans plusieurs études (voir par exemple Greenaway & Milner 2006). Akkoyunlu, Kholodilin & Siliverstovs (2006) ont fourni les premières preuves statistiques montrant que les réformes économiques des années 1980 et l’AUD de 1996 ont eu des effets positifs sur le commerce intra-industriel (CII) entre la Turquie et ses partenaires commerciaux. Ils constatent aussi que l’impact des anciennes réformes est plus important car il affecte le CII entre la Turquie et tous ses partenaires, tandis que l’impact de l’AUD est seulement perceptible pour le CII avec les membres de l’UE, comme on s’y attendrait logiquement. Ils trouvent aussi que, bien que l’AUD couvre principalement les produits industriels, il semble avoir un effet positif sur l’ensemble du commerce. Enfin, la très forte augmentation du CII après 1980 et surtout après 1996 confirme «l’hypothèse d’ajustement souple». Elle implique que la poursuite de l’intégration économique entre l’UE et la Turquie est accompagnée par la baisse des coûts d’ajustement. Ce qui justifie qu’en accélérant la convergence économique, l’intégration économique réduit à long terme les incitations à émigrer.
Le solde entre les coûts et les bénéfices pour les pays d’origine de l’immigration est controversé. L’approche de calcul consiste généralement à une comparaison entre la valeur des fonds envoyés par les travailleurs immigrés et les pertes pour ces pays liées à la « fuite des cerveaux ». Des éléments de preuve dans la présente étude montrent que les envois de fonds ont été une source importante de devises pour la Turquie (Akkoyunlu & Kholodilin 2007) et que les immigrants Turcs en Allemagne étaient pour la plupart non qualifiés (Akkoyunlu & Vogel 2007).
En valeur absolue, la Turquie est le cinquième pays mondial receveur de fonds en provenance des travailleurs expatriés juste derrière l’Inde, le Mexique, les Philippines et l’Egypte. Akkoyunlu & Kholodilin (2007) montrent que les envois de fonds répondent davantage à l’évolution de l’activité économique dans le pays d’accueil qu’à l’évolution de l’activité économique dans le pays d’origine. Ainsi, les immigrants Turcs s’orientent en priorité sur la situation économique en Allemagne au moment de se décider à partir car la relance économique dans le pays d’accueil augmente les possibilités d’embauche pour ces travailleurs et par conséquent attire les personnes à la recherche d’un revenu meilleur.
Akkoyunlu (2007b) évalue le rapport entre les envois de fonds de travailleurs Turcs d’Allemagne et l’activité économique aussi bien en Turquie qu’en Allemagne, le taux d’échange réel du «Deutsche Mark» (respectivement Euro après 2001), l’instabilité politique en Turquie, et le nombre de travailleurs Turcs en Allemagne . L’étude se sert d’observations annuelles portant sur la période allant de 1962 à 2005 . Les estimations sont effectuées au moyen d’une régression du type «OLS». Les principaux résultats sont les suivants. Premièrement, Le coefficient négatif associé au revenu turc, les coefficients positifs des taux d’échange réel et de l’instabilité politique soutiennent l’affirmation selon laquelle les transferts de fonds des travailleurs Turcs d’Allemagne obéissent à des motivations d’obligations morales et sociales. Deuxièmement, les donateurs prennent en compte le pouvoir d’achat de leurs dons. Ceci s’explique par le fait que le taux d’échange réel entre le «Deutsche Mark» et la «Lire» Turque est positivement liés aux transferts de fonds. Troisièmement, le coefficient du stock d’émigrants Turcs est égal à un. Ainsi, l’altruisme est un phénomène permanent. La raison est que les nouveaux arrivants compensent pratiquement la diminution des envois de fonds causée par les travailleurs émigrés de longue date. Quatrièmement, même si les travailleurs Turcs restent à l’étranger pendant de longues périodes, et s’y installent éventuellement, l’envoi d’argent au bercail pour soutenir la famille reste continu. Il est de tradition que le rapatriement de fonds par les immigrants diminue au fil du temps, pour éventuellement s’arrêter après que ceux-ci aient choisi de résider en permanence dans leur pays d’accueil. Pour ce qui est des travailleurs Turcs expatriés, ces fonds n’arrêtent pas de jouer un rôle important (Akkoyunlu 2007b).
3. Les travailleurs Turcs sur le marché allemand du travail
Les travailleurs Turcs se sont adaptés aux nouvelles politiques d’ajustement sur le marché du travail en Allemagne, d’aucuns devenant des travailleurs indépendants et d’autres quittant tout simplement le pays. Akkoyunlu & Vogel (2007) ont analysé avec minutie la situation des travailleurs Turcs indépendants, en se servant de la base de données (Microzensus) de l’Office Allemand de la Statistique pour la période allant de 1989 à 2005. Nous trouvons que l’accroissement de l’autonomie de ces travailleurs est liée à la diminution des emplois dans le secteur industriel en Allemagne. Des théories économiques et sociologiques fournissent des explications à ce phénomène de diverses manières, allant de la discrimination sur le marché de l’emploi, à l’augmentation des gains que génère le travail indépendant. Tout d’abord, nous avons essayé d’expliquer les différences observées du taux d’emploi indépendant entre les immigrants et les autochtones en fonction de l’âge et de l’éducation en Allemagne. Nous nous sommes servis du modèle «probit», ainsi que celui d’analyse non paramétrique. Les résultats montrent que l’hypothèse selon laquelle les deux groupes présentent le même taux d’emploi indépendant n’est pas rejetable. Nous avons refait les estimations avec un plus grand échantillon d’immigrants Turcs. Les résultats montrent que l’âge et l’éducation n’expliquent pas les différences de taux de travail indépendant observées entre ceux-ci et les autochtones.
Par la suite, nous avons essayé de décomposer les différences observées de taux d’emploi indépendant en trois volets: l’attirance, la poussée, et les facteurs culturels. L’attirance dans notre modèle est définie par la différence de revenu entre le travail indépendant et l’emploi salarial. Toutefois, parce que cette différence n’est pas exogène, mais plutôt dépendante des caractéristiques des individus, des équations de revenus distinctes ont été estimées pour les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés. Le facteur de poussé est représenté par le taux de chômage. Enfin, les facteurs culturels sont inclus dans un ensemble de variables «dummies» indiquant le type d’immigrants.
L’importance de l’attirance, de la poussée et des facteurs culturels est évaluée par l’analyse du modèle de déviance. Cette analyse montre que l’attirance et la poussée expliquent au mieux la déviance quand il n’y a qu’une seule variable «dummie» dans le modèle identifiant les immigrants. Cependant, une fois que nous distinguons différents groupes (nationalités) d’immigrants, la composante culturelle devient la plus explicative suivie de la poussée, la composante d’attirance apparaît aussi indispensable. Ce résultat montre que la décision de travailler de manière autonome est influencée par des attributs ethniques spécifiques ainsi que la différence de revenu par secteurs d’activités. Malheureusement, une étude détaillée des facteurs culturels qui influencent la décision de s’auto-employer n’est pas effectuée dans le présent document. Par conséquent, il y’a encore des questions intéressantes restées sans réponse telle l’interaction entre l’appartenance ethnique et le travail indépendant. Celle-ci mérite une attention particulière pour des recherches futures.
Nos résultats suggèrent enfin que les immigrants ne peuvent être traités comme un seul groupe homogène et que toute politique encourageant le travail indépendant devrait tenir compte de cette hétérogénéité.
4. conclusions
Les questions abordées dans ce projet ne représentent qu’une petite partie des nombreux et importants aspects encore inexplorés dans l’espace de recherche sur les migrations. Toutefois, les résultats apportent une meilleure compréhension des liens entre l’aide, le commerce, les migrations, le volume des fonds rapatriés par les travailleurs émigrés, ainsi que le rendement des travailleurs immigrés dans leur pays d’accueil. Les conclusions identifient enfin des thèmes d’orientation future pour la recherche.
[1] D’apr?s notre arrangement avec le Professeur Nicholas P?ridy, son ?quipe de recherche s’est charg?e de l’analyse des d?terminants de la migration dans la r?gion MENA. De ce fait, nous avons analys? de mani?re plus d?taill?e les d?terminants de la migration Turque en direction de l’Allemagne, c.?.d. les interactions cycliques entre l’?migration des travailleurs Turques et la production (PNB) en Turquie et en Allemagne, ainsi que les ajustements sur le march? du travail pour les travailleurs Turques en Allemagne.
[2] L’intensit? du commerce est d?finie ici par le volume du commerce avec l’Allemagne par rapport au volume total du commerce.