Entretien avec le Dr. Abeer EL-SHINNAWY (FEMISE, American University in Cairo) dans le cadre de la contribution FEMISE & Institut de la Méditerranée au rapport ENERGIES2050[1] « Les Défis du Changement Climatique en Méditerranée », publié à l’occasion de la conférence internationale COP22 qui a eu lieu à Marrakech, le 15 Novembre 2016
Le rapport est disponible au téléchargement en cliquant ici.
Quelle est le degré de vulnérabilité des pays méditerranéens face aux changements climatiques et pour quelle raison ?
Les pays du sud de la Méditerranée sont considérés comme particulièrement vulnérables à l’impact du changement climatique. Ceci est dû principalement à leur position géographique et à leur dépendance vis-à-vis des secteurs sensibles au climat tels que l’agriculture et le tourisme. D’autre part, la montée du niveau de la mer est un danger potentiel pour de millions de personnes vivant dans les zones côtières en Méditerranée. C’est pourquoi il est impératif d’évaluer le coût économique du changement climatique et planifier des mesures d’adaptation.
Vous avez donné l’exemple de l’agriculture et du tourisme, pouvez-vous donner une évaluation des coûts du changement climatique sur ces deux secteurs?
En ce qui concerne l’agriculture, le changement climatique affecte le secteur principalement par son effet sur les rendements des cultures. Par exemple, le rendement du blé pourrait chuter de -5,7% en Tunisie et de -7,3% au Maroc sous l’effet de conditions climatiques changeantes d’ici à 2050. Mais il ne faut pas seulement considérer l’effet du changement climatique local sur l’économie d’un pays donné, mais aussi regarder l’effet du réchauffement climatique sur les rendements mondiaux et son impact sur les prix mondiaux des denrées alimentaires et, à son tour, sur la façon dont cela affecte l’économie locale.
Quant au tourisme, il devrait être négativement affecté par un climat plus chaud. D’ici 2050, on s’attend à ce que la hausse de la température (estimée à +1.9%) diminuerait le tourisme dans les zones côtières du Maroc de -6% en raison de l’absence de politiques d’adaptation (et de -2% en Tunisie).
Mais l’effet le plus dommageable du changement climatique dans la région sera sans doute celui lié à la hausse du niveau de la mer. Dans un tel cas, les villes côtières d’Egypte et de Turquie seront menacées, en particulier Istanbul.
Les pays méditerranéens peuvent-ils tirer des bénéfices des changements climatiques?
En effet, certains avantages peuvent très bien se concrétiser. L’atténuation du changement climatique peut avoir des avantages locaux qui peuvent à leur tour entraîner une croissance économique plus élevée. Autrement dit, en favorisant ce que l’on appelle la croissance verte, l’atténuation peut mener à des avantages locaux. Il est possible de rendre la croissance plus efficace sur le plan des ressources, plus propre et plus résiliente sans nécessairement la ralentir. À cet égard, il est possible d’identifier plusieurs canaux par lesquels un meilleur environnement naturel pourrait affecter la croissance économique. Ces canaux passent par l’augmentation de la qualité des facteurs de production; une meilleure résilience aux chocs environnementaux; l’augmentation du contenu des emplois et des caractéristiques pro-pauvres de la croissance économique, etc.
Existe-t-il des exemples spécifiques de secteurs en Méditerranée qui pourraient saisir les opportunités liées au changement climatique?
Les opportunités ne se limitent pas à un secteur particulier, mais la fabrication, les finances et les assurances, la construction et les activités professionnelles, scientifiques et techniques se distinguent. Dans le cas de la fabrication, les produits de soutien à l’agriculture – par exemple les engrais et les pesticides dont la demande est susceptible d’augmenter en raison du changement climatique – et le secteur de la santé offrent des possibilités. Pour le secteur des finances et des assurances, les opportunités se résument à de nouveaux produits et services et au prix des primes d’assurance, car l’assurance permet aux particuliers et aux entreprises de mutualiser les risques. D’autre part, la demande de logements adaptés à la “resilience climatique” stimulerait la croissance du secteur de la construction.
Que peuvent faire les pays méditerranéens pour freiner le changement climatique? Quelles politiques et quelles mesures?
Pour freiner le changement climatique, les pays méditerranéens doivent réduire leurs émissions de GES, en grande partie par la réduction de la consommation de combustibles fossiles. Dans des pays comme l’Égypte, la suppression des subventions à l’énergie pourrait faire partie des politiques visant à atteindre cet objectif.
Que peut-on faire au niveau EuroMed qui n’est pas déjà fait?
De manière générale, les pays méditerranéens doivent se diversifier davantage et ne pas être uniquement dépendants de secteurs sensibles au climat tels que l’agriculture et le tourisme. Plus important encore, ces pays doivent informer leurs citoyens des répercussions du changement climatique afin qu’ils commencent à étudier des possibles mesures d’adaptation. En particulier, et compte tenu de la menace potentielle de la montée du niveau de la mer, les pays pourraient envisager que l’investissement dans les zones côtières soit repoussé. À cet égard, il semblerait que les citoyens ne sont pas conscients de ces problèmes et, dans des pays comme l’Égypte, continuent à effectuer des investissements importants dans des zones potentiellement dangereuses.
Plus important encore, la coopération institutionnelle entre les pays du nord et du sud de la Méditerranée est plus que nécessaire pour mettre en œuvre et appliquer des politiques qui réduiront les émissions de GES. Il est inutile de mentionner que l’absence d’institutions efficaces pour concevoir et mettre en œuvre des politiques de réduction des GES et l’absence de mesures d’adaptation sont considérés comme les obstacles les plus importants auxquels ces pays sont confrontés dans leur combat contre le changement climatique.
Pour en savoir plus sur ce sujet d’actualité, veuillez lire le rapport disponible ici.
L’équipe FEMISE
[1] ENERGIES2050 est une association française basée à Nice (France). ENERGIES 2050 entend notamment promouvoir et encourager la maîtrise de la demande en énergie : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et le développement des d’énergies renouvelables. , FEMISE et l’Institut de la Méditerranée ont choisi de s’associer à se partenaire important dans le domaine du changement climatique pour avoir une voie supplémentaire pour répondre aux défis de la région EuroMed et atteindre le processus décisionnel.