Conférence Tunis, 13 Oct 2015, Hôtel The Residence, Gammarth
Patricia Augier (Présidente du Comité Scientifique et Coordonnatrice du FEMISE)
Au cours d’une consultation effectuée auprès des parties prenantes à propos de l’ALECA, il a été souligné “le besoin de conduire tout d’abord une évaluation ex-post des Accords Commerciaux déjà mis en œuvre[1]”, ce qui est, effectivement, une suggestion de bon sens. Quel éclairage pour l’ALECA peut nous apporter les analyses faites concernant les effets de l’Accord d’Association ? Plus précisément, pourquoi cet accord n’a-t-il pas eu les effets positifs qu’on aurait pu en attendre ?
Une des explications couramment avancées dans le cas de la Tunisie est que la baisse des droits de douane a été suivie par la mise en place d’autres protections qui ne sont pas de nature tarifaire et qui se sont révélées être des obstacles plus redoutables encore que les tarifs et que finalement l’industrie tunisienne est restée relativement fermée à la concurrence étrangère. Même si cette explication n’est pas la seule, elle est en grande partie tout à fait justifiée. Toutefois, l’erreur à éviter serait de dire qu’avec l’ALECA, on va s’attaquer aux mesures non tarifaires et que, là, tout va fonctionner.
Pourquoi serait-il une erreur de défendre cette hypothèse ? (i) D’abord parce que les solutions mises en place pour contrecarrer l’ouverture vont au delà de ce que couvrent les mesures non tarifaires traditionnelles et qu’il faut plutôt se demander comment régler autrement ce problème, en allant à sa source, ce qui est une question interne à la Tunisie ; (ii) Ensuite parce qu’il ne faudrait pas laisser croire que la poursuite de l’ouverture va tout régler et surtout permettre de relancer l’économie. On sait tous que pour que l’ouverture conduise à la croissance, il faut un certain nombre de conditions.
Plus précisément, il faut lever un certain nombre d’obstacles pour permettre au secteur privé de s’ajuster, de s’adapter et de profiter des opportunités nouvellement offertes. Ces obstacles, on les évoque très fréquemment, qu’il s’agisse du climat des affaires, de la corruption, de la gouvernance, de l’accès au financement, des infrastructures, de la facilitation des échanges, de la rigidité du marché du travail, etc., mais la priorité serait surtout de les comprendre et de les identifier plus concrètement (en fonction des secteurs, en fonction de la taille des entreprises, selon que ces entreprises exportent ou non, en fonction de leur localisation, etc.). Pour pouvoir tirer parti de l’ALECA, il faut donc identifier de façon opérationnelle ce qui constitue ces obstacles. C’est ce qui permettra de définir les politiques économiques d’accompagnement et les réformes nécessaires et efficaces à mettre en place.
Un autre point important est que l’ALECA va bien au delà de l’Accord d’Association, lequel a consisté globalement qu’à réduire les droits de douane. L’ALECA, c’est beaucoup plus et l’accord porte sur des domaines plus sensibles et beaucoup plus complexes. Aussi, cet accord peut être une source de gains importants pour la Tunisie, mais pour cela, les avancées doivent être faites après avoir réalisé des études, des analyses sérieuses et très précises dans chaque domaine. Pour chaque avancée, il faut que l’on puisse, d’une part, identifier les perdants et les gagnants et, d’autre part, savoir ce qu’il faut modifier, changer, adapter au niveau national pour profiter au mieux de cet accord. Prenons simplement l’exemple de l’harmonisation des mesures non tarifaires sur les normes européennes. Quels en seront les effets ? La réponse dépendra non seulement du secteur d’activité, mais également de la situation propre de chaque entreprise. Les effets seront différents si l’entreprise exporte déjà sur le marché européen ou si elle produit seulement pour le marché local. L’adoption de normes européennes aura vraisemblablement pour effet d’augmenter les coûts de production, ce qui va se traduire par un accroissement du prix de vente. Les produits seront mieux adaptés au marché européen mais les entreprises se fermeront, dans le même temps, les marchés émergents. On pourra donc, par exemple, se demander si, quels que soient les secteurs, est bien judicieux de se fermer aux marchés émergents qui sont les plus dynamiques en termes de taux de croissance et de potentialités.
De plus, il est fondamental de ne pas laisser de côté les questions sociales et le quotidien du peuple tunisien. On ne peut pas avoir d’un côté, un système “sophistiqué” de règles, de cadres institutionnels et juridiques qui convergent vers l’acquis communautaire et de l’autre, avoir une partie de la population dont les conditions de vie se dégradent ou du moins ne s’améliorent pas. Ce sera par conséquent une priorité absolue d’impliquer et surtout d’écouter la société civile dans son ensemble et de prendre en compte les préoccupations et les attentes du peuple tunisien.
En résumé, à la question de savoir si l’ALECA peut être bénéfique pour la Tunisie, la réponse est oui, à la condition que cet accord ne soit pas un objectif en soi mais qu’il soit utilisé comme un outil qui contribue au développement économique et social du pays. L’ALECA doit être intégré dans la stratégie de développement de la Tunisie mais ne doit pas en être le pivot. L’ALECA doit être au service de cette stratégie.
[1] Ecorys, 2013, Evaluation de l’impact commercial durable en support des négociations pour un Accord de Libre-Echange Complet et Approfondi entre l’Union Européenne et la Tunisie, Résumé analytique du rapport technique intérimaire, Mai, pp.8.
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