1. Objectif et méthodologie
L’étude consiste à évaluer la capacité du Maroc à réaliser les objectifs du Plan Maroc Vert (PMV) en termes économique et social ainsi que l’impact de celui-ci sur la production agricole et sur l’évolution du PIB global, les équilibres macroéconomiques, le bien-être des ménages en termes de revenus et de consommation de biens et services, ainsi que sur les échanges commerciaux de produits agricoles et la sécurité alimentaire du pays, etc.
L’objectif est de mettre en exergue les défis de l’agriculture marocaine avec leurs implications pour le PMV et suggérer des adaptations pour éviter les impacts négatifs sur l’agriculture des facteurs, en particulier, exogènes, qui risquent d’handicaper la réalisation du PMV.
Les questions fondamentales structurant ce travail portent sur :
– L’agriculture, peut-elle être un élément catalyseur à effets d’entraînement sur le développement de l’économie marocaine ? En particulier, ses effets sur la balance commerciale dans le cadre de la poursuite de la politique d’ouverture.
– Quel sera l’impact du PMV sur la distribution des revenus (ruraux/urbains), et partant sur le bien-être social d’une façon globale?
– Quels sont les moyens humains, financiers, institutionnels et managériaux à mettre en place pour atteindre les objectifs tracés par le Plan Maroc Vert ? Dans ce cadre quel sera l’impact de la politique d’intervention publique (fiscalisation + subvention) sur le secteur agricole ?
– Le PMV permettrait-il d’atteindre la sécurité alimentaire du pays? Comment celle-ci peut être réalisée ?
Le rapport passe en revue, premièrement, l’évolution historique de la politique d’intervention publique dans le secteur de l’agriculture. Par la suite, il présente dans une deuxième section les caractéristiques et les performances du secteur agricole, pour apprécier, ses forces et ses faiblesses, ses tendances lourdes, et ses atouts les plus visibles en mettant l’accent sur ses implications économiques et sociales. Une troisième section rappelle les objectifs du Plan Maroc Vert et présente ses fondements et ses axes stratégiques. La quatrième section se penche sur les principaux enjeux auxquels fera face le PMV dont les implications risquent d’handicaper sa mise en œuvre. Une dernière section porte sur l’évaluation (ex-post) des premières années de mise en œuvre de la stratégie ainsi qu’une évaluation (ex-ante) qui permettra d’élaborer un scenario tendanciel de la stratégie PMV et la simulation de quelques politiques liées aux enjeux de l’agriculture avant de conclure avec quelques recommandations.
Trois approches méthodologiques complémentaires ont été mises à contribution :
- Une analyse Input-Output basée sur le tableau ressources-emplois (IO table) complétée par une analyse descriptive de l’évolution des indicateurs relatifs au secteur de l’agriculture.
- Une analyse comparative du secteur agricole marocain avec ceux d’autres pays, en particulier, les pays en avance dans la transformation de leur tissu productif comme l’Espagne, le Chili, le Mexique et l’Inde.
- La troisième approche consiste en une modélisation d’équilibre général calculable dynamique pour une évaluation d’impact du PMV.
2. Caractéristiques et performances du secteur agricole
Les efforts des politiques publiques, en dépit de leurs insuffisances, ont permis de réaliser des succès et renforcer le rôle de l’agriculture dans la dynamique de croissance. En plus de sa contribution au PIB à hauteur de 16%, ses effets sur les échanges extérieurs sont importants avec une valeur des exportations agricoles représentant une moyenne de 18% des exportations globales. La production agricole permet la couverture[1] des besoins nationaux à hauteur de 100% des viandes, des fruits et des légumes, de 78% des besoins en lait, mais seulement 62 % des céréales (dont 50% des besoins en blé tendre).
En plus de la fonction productrice, l’agriculture joue également un rôle important dans l’amélioration du niveau de vie de la population rurale et une fonction centrale dans la gestion des ressources naturelles. En effet, l’agriculture assure 45% de l’emploi national et génère plus de 65%[2] des revenus des ménages ruraux et valorise les 8,7 millions ha de la Surface Agricole Utile (dont 15% en irrigué).
3. Objectifs, fondements et axes stratégiques du PMV
La nouvelle stratégie agricole appelée «Plan Maroc Vert» (PMV) est élaborée pour faire de l’agriculture, au cours des quinze années à venir, le principal moteur de croissance de l’économie nationale. Le PMV constitue, ainsi, la feuille de route, que le Maroc a tracée pour emprunter le chemin de la convergence et réussir son intégration régionale. Cette nouvelle stratégie agricole vise des retombées socio-économiques importantes en termes de valeur ajoutée, d’investissements, de création d’emplois, et d’amélioration des revenus des agriculteurs. Elle permettra également la prise en compte des différentes composantes du secteur sur les plans social, territorial et humain ainsi qu’une meilleure valorisation et gestion durable des ressources naturelles.
Adopté en 2008, le PMV se présente comme une plate-forme qui permet d’apporter des ajustements au cadre stratégique. Il combine une série de politiques, réformes institutionnelles et investissements du secteur public pour mettre en œuvre la vision établie pour l’agriculture au Maroc. Il vise la réalisation d’un développement équilibré du secteur qui permet le passage d’un système dualiste (une minorité d’exploitations modernes et une majorité d’agriculteurs pratiquant des cultures vivrières) à une agriculture fondée sur deux piliers :
Le premier pilier porte sur le développement d’une agriculture moderne et à haute valeur ajoutée/haute productivité répondant aux règles du marché avec un rôle central du secteur privé.
Le deuxième pilier concerne l’accompagnement solidaire de la petite agriculture, à travers l’amélioration des revenus des agriculteurs les plus précaires. A cet effet, la stratégie prévoit la mise en œuvre de projets de reconversion, d’intensification et de diversification bénéficiant de concours directs de l’Etat pour permettre d’améliorer le revenu agricole de 2 à 3 fois en faveur de 3 millions de ruraux.
Pour ce faire, il prévoit des interventions publiques adaptées pour les grandes et moyennes exploitations agricoles et le développement d’une agriculture moderne à haute valeur ajoutée (Pilier I) tout en assurant l’accompagnement solidaire de la petite agriculture (Pilier II).
4. Principaux enjeux/risques dans la mise en œuvre du PMV
Aujourd’hui, dans un contexte international marqué par une crise économique atypique dans les conséquences et les effets ne sont pas encore tout à fait clairs, la réalisation des objectifs du PMV dépendra du sort réservé à des défis qui ne manqueront pas de se poser l’évolution du secteur de l’agriculture. Il s’agit des incertitudes et des mutations internes et externes dont la prise en compte est nécessaire dans ce travail d’évaluation, notamment les enjeux liés aux mutations technologiques, en particulier, les biotechnologies, à l’ouverture et la libéralisation des échanges, à l’insertion dans les chaines de valeur internationales,à la sécurité alimentaire,à la pression du choc démographique avec ses implications sur l’emploi et la réduction de la pauvreté, et à la préservation et la valorisation de l’environnement par l’adaptation aux changements climatiques surtout les sécheresses récurrentes des dernières décennies.
5. Evaluation ex-post et ex-ante du PMV
Deux approches sont utilisées pour évaluer la capacité de réaliser les objectifs du Plan Maroc Vert (PMV) en termes économique et social, tels que l’impact sur la production agricole et partant l’évolution du PIB, les équilibres macroéconomiques, le bien-être des ménages en termes de consommation de biens et services. La première est une évaluation ex-post des premières années de mise en œuvre de la stratégie, l’étude reprend les principales réalisations du PMV et dresse une liste des attentes eu égard aux interconnexions avec les autres domaines d’activités et aux exigences économiques et sociales.
La seconde approche procède à une évaluation ex-ante du PMV, sur la base d’un modèle d’équilibre général calculable dynamique.
Les différentes simulations explorent les retombées du PMV sur l’économie marocaine en général et sur le bien être des populations pauvres en particulier. En l’absence de politiques d’accompagnement, les investissements importants programmés (public et privé) dans le cadre de la poursuite du processus de libéralisation auront des impacts contrastés sur le secteur agricole.
6. Conclusions et recommandations
De la combinaison des trois approches, il ressort que l’existence d’une stratégie de développement agricole (Plan Maroc vert) est certainement mieux que l’absence de stratégie.
Le PMV aura certainement un impact économique et social positif : augmentation de la production et des revenus des agriculteurs.
Cependant, la stratégie du développement agricole gagnerait à être repensée dans un cadre plus global :
- Quelle place pour l’agriculture marocaine dans l’ensemble de l’économie du pays : poids dans le PIB et dans la population active du Maroc ?
- Quelles relations entre l’agriculture du pays et les autres secteurs et les échanges extérieurs du Maroc ?
- Quel système socio-économique pour le monde rural et quelle place de celui-ci dans l’ensemble national ?
Plus spécifiquement, la terminologie utilisée n’est pas appropriée : Les piliers seraient en fait des pôles. Le PMV aurait été mieux inspiré en se concentrant sur le volet II. C’est ce dernier qui a le plus besoin de modernisation et de développement. L’agrégation est une bonne idée. Mais, il fallait prévoir d’autres mécanismes comme la création de sociétés anonymes avec des apports en terre (en guise d’actions) par les petits agriculteurs et avec un encadrement public conséquent. Par ailleurs, pour l’agrégation même, il fallait prévoir un contrat type détaillant les droits et obligations des deux parties (agrégateur et agrégés). Un financement plus conséquent de l’agrégateur est également nécessaire.
L’analyse comparative montre la nécessité :
- D’un encadrement technologique, surtout du pilier II : Formation des agriculteurs, vulgarisation des technologies, développement de la recherche-développement par filière.
- D’une ré industrialisation du pays : celle-ci est la seule option à même d’absorber le surplus de main-d’œuvre du secteur. L’agro-industrie devrait être un volet important de cette industrialisation. Sans cela, il ne pourrait y avoir, mathématiquement, d’amélioration de la productivité dans le secteur, ni d’amélioration de la balance commerciale, ni de diminution du sous-emploi et du chômage.
- De systèmes d’éducation et de formation leviers indispensables pour la modernisation de l’agriculture et son développement, lesquels passent par la maîtrise de la technologie et de la recherche scientifique au service de l’agriculture.
- De circuits d’approvisionnement et de commercialisation doivent être maîtrisés par les agriculteurs eux-mêmes de manière à ce qu’ils ne soient pas sous l’emprise d’intermédiaires et que le surplus parte ailleurs.
[1]Voir les échanges commerciaux, Office de Changes 2009.
[2]Estimation de la Direction de la Comptabilité Nationale, HCP.