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Impact des transferts de fonds sur la pauvreté et les inégalités : les enseignements de deux nouvelles enquêtes conduites au Maroc et en Algérie

La migration est un phénomène démographique de grande ampleur. En effet, les migrants sont aujourd’hui quelques 215,8 millions1, également répartis entre hommes et femmes. Les mouvements migratoires concernent l’ensemble des pays et, même si les pays dits du Sud enregistrent les plus forts taux d’émigration, ce n’est pas uniquement un mouvement de ces pays vers les pays du Nord. En effet, en 2009, 74 millions1 de personnes ont migré d’un pays du sud vers un autre pays du sud, souvent frontalier. Les causes de cette migration Sud-Sud sont multiples : guerres, famines, conditions climatiques ou encore motivations économiques. Concernant les mouvements migratoires du Sud vers le Nord, ils représentent quelques 97,51 millions de personnes dont la motivation principale est bien souvent d’ordre économique ou dans une optique de regroupement familial. Enfin, en 2009, 37,7 millions de personnes1 ont migré d’un pays développé vers un autre pays développé, tandis que 6.5 millions1 sont allées vers le Sud.

Dans la plupart des cas de migration des pays pauvres vers des pays plus riches, les individus cherchent à améliorer leurs conditions de vie. Lorsqu’ils ne migrent pas de manière définitive, ils sont
plus nombreux à envoyer une partie de l’argent gagné dans le pays d’accueil à leur famille restée dans le pays d’origine. Ces transferts d’argent représentent des sommes faramineuses : en 2010, les fonds rapatriés dans les pays en développement s’élevaient à 325 milliards de dollars1. Leur niveau a été multiplié par six depuis 19951. Cet accroissement fulgurant est en partie dû à l’augmentation du nombre de migrants internationaux, mais également à l’amélioration des moyens mis à la disposition des migrants pour effectuer ces transferts. De plus, l’intérêt porté à ce phénomène par la littérature et les pouvoirs publics a entrainé une meilleure prise en compte statistique de ces flux.

Le montant des transferts dépasse largement l’aide au développement en Asie, Amérique Latine, Afrique du Nord et Moyen-Orient, et constituent la principale source de financement extérieur dans
cette dernière région du monde (devant les investissements directs à l’étranger). Les principaux pays récipiendaires sont l’Inde (55 milliards de dollars1), la Chine (51 milliards de dollars*), le Mexique (22,6 milliards de dollars1) et les Philippines (21,3 milliards de dollars1) : ces montant records s’expliquent par leur très fort taux d’émigration. Pour certains pays, ces transferts d’argent constituent des ressources financières considérables puisqu’ils représentent une part très importante de leur produit intérieur brut : en 2009, les transferts représentaient 35% du PIB au Tadjikistan1, 28% au Tonga1 et 25% au Lesotho1, rendant ces pays véritablement dépendants de la migration.
En plus de représenter des sommes considérables, les transferts constituent le seul revenu extérieur
directement reversé aux ménages. Ils ont un impact très important sur le bien-être des récipiendaires dans des pays où la pauvreté est très présente. De plus, ces fonds sont très stables, et leur caractère contra-cyclique permet aux bénéficiaires de faire plus efficacement face aux crises auxquelles ils sont confrontés.

L’importance des sommes en jeu a récemment relancé la littérature sur le vaste sujet de l’impact des
envois de fonds dans le pays d’origine. Les thèmes abordés sont multiples mais un sujet encore
particulièrement analysé et débattu concerne l’impact des transferts sur la pauvreté et la répartition des revenus dans le pays d’origine. La littérature s’est emparée de ce sujet depuis plusieurs années et cherche à savoir si cet argent, directement reversé aux ménages, permet aux populations des pays en développement de sortir de la pauvreté et de rendre la société plus égalitaire.

Notre étude répond à la question de l’effet des migrations sur la pauvreté et les inégalités à partir de la réalisation de deux enquêtes ménages originales réalisées au Maroc et en Algérie. Nous utilisons deux enquêtes originales que nous avons menées en Algérie et au Maroc auprès d’un échantillon de
ménages ayant ou non des migrants et recevant ou non des transferts des migrants ? Nous comparons les niveaux de pauvreté et d’inégalités prévalant aujourd’hui, à ceux estimés pour une situation sans migration ni transfert dans laquelle les migrants seraient réintégrés à la vie locale. La première partie présente les travaux sur les deux régions algériennes présentant des taux d’émigration élevés la Kabylie et la région de Tlemcen.

 

* Données pour l’année 2009 provenant du Migration and remittances factbook 2011

Vol 9: L’impact Socio-economique de la Migration- Springer

Migration_ArtalEncore une fois les recherches financées par FEMISE, à travers les fonds de la Commission Européenne, ont fait l’objet d’une base d’un nouvel volume édité. Publié sous le titre « L’impact socio-economiques des flux de la Migration » (titre originale en anglais: “the Socio-Economic Impact of Migration Flows », le volume édité par: Andres Artal-Tur, Giovanni Peri and Francisco Requena-Silvente fait une nouvelle contribution envers le sujet de la migration.

 

Le volume est une valeur ajoutée puisque:

  • Les sujets concernant la migration sont couverts du point de vue théorique et empirique;
  • Il comprend les développements récents dans le domaine et utilise les dernières méthodes de recherche ;
  • La mise au point et les lignes directrices de la politique notable dans tous les chapitres
  • Bien que la mondialisation de l’économie mondiale est actuellement une force puissante, la mobilité internationale des personnes semble être encore très limitée . Le but de ce livre est d’améliorer nos connaissances sur les effets réels des flux migratoires. Il comprend des contributions de chercheurs universitaires éminents analyse de l’impact socio- économique de la migration dans une variété de contextes : l’interconnexion des personnes et des flux commerciaux, les causes et les conséquences des transferts de fonds de capitaux , la compréhension de l’impact macro-économique de la migration , et les effets sur le marché du travail des flux de personnes . Les dernières méthodes d’analyse sont employées dans tous les chapitres , tandis que les lignes directrices de la politique intéressantes se dégagent de l’enquête . Le style du volume le rend accessible pour les non-experts et les lecteurs avancés intéressés par ce sujet important dans le monde d’ aujourd’hui.

Téléchargez la table des matières, la préface et les remerciements (en pdf)

Pour en savoir plus ou commander le livre, merci de suivre le lien vers Springer

 

 

Workshop sur la migration dans la région Méditerranée, 16-17 Avril 2011, Istanbul, Turquie

Migration_work_2011Le  FEMISE et l’ERF (Economic Research Forum, Le Caire – Egypte), ont organisé conjointement un séminaire à Istanbul, les 16 et 17 avril 2011, sur « La migration dans la région  Arabe: causes et conséquences »  pour mieux comprendre l’évolution du phénomène de la migration dans la région méditerranéenne. Les chercheurs les plus qualifiés dans le domaine ont présenté les résultats de leurs recherches les plus récentes et échangés leurs points de vue  (Photo FEMISE : De gauche à dr. : F. Docquier, I. Awad, JL.Reiffers et K. Sekkat)

La région méditerranéenne est une des régions du monde où les migrations jouent un rôle central. Elle se caractérise par des entrées et des sorties importantes de travailleurs, par un stock important de migrants à l’étranger et par le rôle décisif des transferts de revenus des migrants pour l’équilibre macroéconomique des pays de départ. Certains pays méditerranéens comme le Maroc, l’Algérie et le Liban représentent quelques-unes des plus importantes diasporas à l’étranger. Il existe aussi d’importants flux de migrants entre pays arabes (en particulier avec les pays du Golfe) qui se développent à mesure que l’intégration Sud-Sud s’approfondit.

L’objet du séminaire a été de faire le point sur les analyses faites par les chercheurs les plus spécialisés sur quelques uns des aspects les plus importants de la migration dans la région, en particulier sur les questions suivantes : Quel est l’impact global de la migration sur l’emploi, l’éducation, le bien être social et la démocratie ? Quelle est l’influence de la diaspora sur les institutions des pays d’origine ? Les transferts de fonds peuvent-ils promouvoir le développement financier et l’entreprenariat ? Peuvent-ils diminuer la pauvreté et les inégalités ? Le séminaire s’est conclu par la présentation d’un agenda de recherches à développer dans le futur dont certaines seront notamment proposées au comité scientifique du FEMISE pour son nouvel appel à propositions. On trouvera ci-après une présentation des principaux enseignements apportés durant les deux journées, ainsi que l’ensemble des études et des présentations à la fin de l’article.

Docquier_mig_2011Frédéric Docquier (Université de Louvain) et Khalid Sekkat (Université de Bruxelles) montrent que l’analyse conjointe entre causes et conséquences de la migration, bien que déterminante était encore un domaine de recherche souvent négligé. A la question sur l’impact global de la migration la réponse de la recherche a été la suivante : d’abord, il est clair que les variables économiques jouent un rôle prépondérant et que l’émigration est largement influencée par des facteurs tels que les différences de revenus entre pays ou les effets de réseau ; ensuite, la migration peut généralement conduire à un « brain gain » pour le pays de départ, l’hypothèse du « brain drain » qui était celle des années 80 étant désormais dépassée par la nécessité pour les pays de départ de s’insérer dans la mondialisation. C’est ainsi que le séminaire a insisté sur le fait que bien que la migration des travailleurs qualifiés puisse avoir des effets nuisibles à court terme, elle peut avoir un impact positif sur l’emploi, les salaires et le bien être social des pays d’origine au long terme. On a relevé que la migration des femmes qualifiées produisait des effets significatifs sur les taux de fécondité, la santé des enfants et le niveau d’éducation.

La diaspora a, elle aussi, une influence notable sur les institutions du pays d’origine : Michel Beine de l’Université du Luxembourg, illustre ce propos par une analyse de l’impact et des effets économiques directs et indirects de la migration internationale sur les institutions. Les transferts de fonds et de normes ont une influence significative et un impact positif sur la démocratie, la transparence, l’éducation, en particulier. L’étude de Jad Chaaban (American University de Beyrouth) et Wael Mansour (Banque Mondiale Liban) le confirme, et met en évidence l’impact positif de ces transferts sur l’éducation dans 3 pays (Jordanie, Syrie et Liban).

Mig_work_LorcaLa récente vague de soulèvement dans le monde arabe a été provoquée par le mécontentement des jeunes générations face au chômage et au manque de liberté. Pour Alejandro Lorca (Université Autonome de Madrid), les migrations et les transferts de fonds ne peuvent toutefois pas se substituer à des politiques et des réformes efficaces dans les domaines économiques et politiques des pays d’origine. Les gouvernements des pays d’origine doivent créer suffisamment d’emplois pour absorber la main d’œuvre, et l’Union Européenne doit favoriser ce développement économique pour garantir une stabilité à la région Euromed.

Les transferts de fonds des Migrants peuvent-ils également promouvoir le développement financier et l’entreprenariat dans les pays d’origine ? Ont-ils un impact sur la Pauvreté et les Inégalités. El Mouhoub Mouhoud (Université Paris Dauphine) a présenté les premiers résultats d’une enquête sur les déterminants et l’utilisation des transferts depuis la France vers les pays du Maghreb. La migration de retour représente un pourcentage important d’entrepreneurs et une contribution économique considérable qui influence le processus de développement.

Whaba_mig_2011La recherche de Jackline Wahba (Université de Southampton) et Bachir Hamdouch (Institut National de Statistique et de l’Economie Appliquée, Maroc) qui porte sur l’impact des migrants de retour sur le marché du travail dans la région MENA à travers plusieurs études sur des pays tels que l’Egypte et le Maroc, l’a notamment confirmé. La diaspora marocaine constitue 10% de la population et les transferts de fonds 9% du PIB, et joue un rôle important dans la réduction de la pauvreté et des inégalités. Les migrants de retour sont plus susceptibles de devenir des travailleurs indépendants (entrepreneurs) ou des employeurs et ont tendance à gagner 46% de plus que les non-migrants. L’étude entamée par Ragui Assaad (Université du Minnesota) a confirmé que la migration des hommes augmente l’offre de main-d’œuvre féminine ayant des répercussions profondes sur les ménages.

Ces travaux confirment que les migrations internationales sont cruciales pour l’économie mondiale et que les migrations de retour ont une importante contribution économique dans les pays d’origine particulièrement à travers l’épargne et l’accumulation de capital humain.

En conclusion du séminaire, la dernière session était consacrée aux futurs domaines de recherches sur le sujet de la migration. Les recherches actuelles étant essentiellement conduites sur la relation entre transferts de fonds et pauvreté, éducation, entreprenariat et salaires, les futures recherches se proposent d’analyser les effets de la crise financière sur les transferts des migrants sur les pays d’accueil ou bien encore l’impact de la diaspora sur les institutions du pays d’origine relative à la gouvernance, la corruption et la démocratie. L’impact des politiques de réunification familiale sur la migration féminine et l’étude de genre de la migration sont en outre des domaines de recherches aujourd’hui négligés. D’autres questions peuvent être examinées, quels sont les déterminants de la migration illégale et ses conséquences ? Existe-t-il une adéquation entre les besoins de la région entre le Nord et le Sud ? Et comment analyser et optimiser l’immigration temporaire et circulaire ?

Jackline Wahba de l’Université de Southampton recommande :

  • des recherches pour éclairer les politiques de migration,
  • de mieux comprendre les opportunités et les défis auxquels font face les immigrants et leurs familles : les incitations et contraintes auxquelles ils sont confrontés,
  • un accès nécessaire aux données ainsi que l’utilisation de solides techniques afin de réaliser ces recherches avec succès.

En conclusion Jean Louis Reiffers, co-coordinateur et président du comité scientifique du FEMISE préconise qu’à coté des recherches fondées sur les comportements micro-économiques et sur les effets sur le brain gain, il est nécessaire de placer les migrations dans le contexte de la cohérence de la grande région. Cela implique :

  • de raisonner dans le cadre du système d’interdépendance Nord-Sud : nature de l’équation de transfert, complémentarité démographique, mobilité circulaire, etc.
  • de lier les tendances à la poussée migratoire du Sud avec l’évolution des capacités d’intégration au Nord,
  • de dépasser l’approche en termes de migrations des personnes pour traiter de la migration des idées, notamment au travers du développement des TIC,
  • de poser la question de l’immigration vers les pays du Sud (notamment en provenance de l’Afrique Subsaharienne).

Accès aux articles et présentations :

1. Geographic, Gender and Skill Structure of International Migration by  Frédéric Docquier, Marfouk, Ozden and Parsons (powerpoint presentation: see below F. Docquier paper 2)

2. A Unified Analysis of International Migration and Cross Country Inequality by Frédéric Docquier and Khalid Sekkat (download the powerpoint presentations by Docquier)

3. Skilled migration and the transfer of institutional norms by Michel Beine and Khalid Sekkat (download the powerpoint presentation)

4. Emigration and origin country’s institutions: Does the destination country matter? by Michel Beine and Khalid Sekkat (download the powerpoint presentation)

5. The Impact of Remittances on Education in Jordan, Syria and Lebanon by Jad Chaaban and Wael Mansour (download the powerpoint presentation)

6. Return Migration and Entrepreneurship in Morocco by Bachir Hamdouch and Jackline Wahba

7. Return Migration and Labor Market Outcomes in Egypt By Jackline Wahba

8. Egyptian Men Working Abroad: Labour Supply Responses by the Women Left Behind, By Ragui Assad (download the powerpoint presentation)

9. The Euro-Med Perspective on Migration: The Role of Economic and Social Reforms By Wai Mun Hong, Alejandro Lorca, Eva Medina (download the paper)

10. Impact des transferts de fonds sur la pauvreté et les inégalités : les premiers résultats d’une enquête conduite au Maroc by E.M. Mouhoud et Hicham Hanchane (download the paper/download the powerpoint presentation)

11. Towards a Future Research Agenda on International Migration in MENA By Jackline Wahba

Lire les articles basees sur ce workshop:

Les transferts d’argent des migrants atouts pour les pays d’origine