Le FEMISE a organisé à Beyrouth (Liban), le 5 décembre 2016, un séminaire sur le thème «Débloquer le potentiel du secteur privé dans les pays du sud de la Méditerranée». Le séminaire a été organisé en collaboration avec nos partenaires, l’Institut d’économie financière, à l’Université américaine de Beyrouth (AUB).
En trois séances et une table ronde, les conférenciers et les participants ont tenté de produire des réponses à trois questions principales:
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Une déclaration factuelle qui nécessite d’être vérifiée: la performance du secteur privé dans la région est inférieure au potentiel et en-dessous des attentes. Il n’est ni dynamique ni suffisamment productif. En outre, il ne crée pas suffisamment d’emplois.
- Qu’est-ce qui empêche le secteur privé d’atteindre son potentiel? Deux idées sont avancées: les contraintes macro et micro.
- Quel est le rôle de la communauté internationale à cet égard?
Lors de la première session, les intervenants ont souligné les défis macroéconomiques auxquels sont confrontés les pays du Sud et qui ont des implications sur le développement du secteur privé. Au Liban, le Dr Youssef El-Khalil a souligné le rôle joué par la Banque centrale libanaise dans la stabilisation de l’économie au cours des trois dernières décennies (guerre, instabilités politiques, réfugiés syriens). Son principal message était de dire que le mandat de la Banque centrale ne se résume pas uniquement à obtenir une inflation stable ou une monnaie stable. La Banque Centrale a également la responsabilité sociale de promouvoir une croissance inclusive, en encourageant les activités entrepreneuriales et la création d’emplois chez les jeunes et les personnes éduquées.
En Tunisie, face aux défis macroéconomiques et au manque de ressources financières, le pays a adopté deux programmes du FMI (d’un montant de 4,7 millions de dollars) comme l’a expliqué le Dr Sami Mouley (Université de Tunis El Manar) (présentation disponible ici). Les programmes adoptés visaient à assurer la stabilité de l’économie et à appuyer les réformes financières et de crédit. Cependant, le développement du secteur privé est resté faible, c’est ainsi que des mécanismes d’accompagnement orientés vers le secteur privé ont été mis en place, notamment des réformes réglementaires, des prêts bancaires de meilleure qualité, une monnaie flottante, etc.
Selon Dr. Simon Neaime (AUB), l’espace budgétaire limité et la mise en place de régimes de taux de change fixes ont eu une incidence négative sur l’efficacité des banques centrales (présentation disponible ici). Par conséquent, les mécanismes de stabilisation monétaires et fiscaux traditionnels sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre, car ils risquent d’entraîner de nouveaux déséquilibres. Ainsi, Dr. Neaime est plutôt favorable pour la mise en place de mécanismes alternatifs tels que la réduction de la taille du secteur public et la réduction des dépenses publiques, en donnant davantage d’espace au secteur privé. Ces mécanismes pourraient également s’accompagner de stratégies de réforme qui amélioreraient les attentes du secteur privé. Faire le lien entre croissance et développement du secteur privé, telle est la nécessité qui doit être pris en compte par les pays du sud de la Méditerranée.
La deuxième session a évolué autour des obstacles auxquels fait face le secteur privé et sur la manière de les surmonter. Un aperçu de ces défis fournis par la Professeure Patricia Augier (FEMISE) a permis de mettre en avant les problèmes liés à l’instabilité politique, à l’accès au financement, à la corruption et à l’inefficacité des infrastructures.
Par la suite, des intervenants de divers horizons ont présenté leurs propres expériences. Le projet intitulé «Amélioration de l’environnement des affaires dans le Sud de la Méditerranée – EBESM» a été lancé par Marie Jo Char, qui ambitionne de promouvoir le secteur privé dans la région en engageant les entrepreneurs avec les décideurs par des dialogues constructifs (présentation disponible ici). Ce projet a objectifs multiples est un bon exemple de la manière dont les ONG peuvent jouer un rôle important dans le renforcement du secteur, c’est à dire à travers des projets impliquant les institutions nationales et utilisant le financement des donateurs internationaux. Le projet EBESM est financé par la Commission européenne et la GIZ.
Au Liban, les PME ont rencontré de nombreux défis à leur développement alors que le pays sortait de la guerre des années 90. La création de Kafalat a permis de fournir l’instrument nécessaire pour garantir des prêts aux PME, ce qui a eu un impact considérable sur le développement du secteur. Le Dr Khater abi Habib (PDG de Kafalat) a souligné qu’ils visaient des secteurs spécifiques, considérés comme les plus en difficulté et dont la contribution à l’économie était considérée comme essentielle (agriculture, industrie, tourisme, artisanat traditionnel et high tech). D’autres programmes ont ensuite été introduits par Kafalat qui favorise toujours les start-ups innovantes.
Une expérience différente, mais tout aussi réussie, a été adoptée au Maroc par le biais du Comité national pour l’environnement des affaires: un comité créé par le gouvernement marocain pour développer un dialogue entre le secteur public et le secteur privé dans le but d’améliorer l’environnement des affaires (présentation disponible ici). Depuis sa création en 2010, de nombreuses réformes institutionnelles et réglementaires ont été mises en œuvre par le biais de ce comité au bénéfice du secteur privé, contribuant à ce que le Maroc gagne 60 places dans son classement Doing Business Report.
Pour compléter l’état des lieux macroéconomique et microéconomique dans le développement du secteur privé, la troisième session a examiné la question d’un point de vue externe, celui de la communauté internationale.
Trouver des moyens plus innovants pour soutenir leur partenariat avec les pays du Sud méditerranéen, tel est la nouvelle approche de la Commission européenne pour mieux répondre aux besoins de cette région. La révision de la politique de voisinage de l’UE a été une première étape, suivie de beaucoup d’autres initiatives à différents niveaux (Macro, Meso et Micro) par la coopération régionale et bilatérale. La Commission apporte son soutien au secteur privé en associant la Facilité d’investissement pour le voisinage (FIV) en coopération avec des institutions financières comme la BEI, la BERD et les agences bilatérales des États membres de l’UE. Travailler pour la création d’un environnement propice au secteur privé doit aller de pair avec le dialogue politique, ce que Mme Malin Elander Oggero (Commission européenne) a expliqué lors de son exposé (présentation disponible ici).
À l’OCDE, le programme de compétitivité MENA a été mis en place pour soutenir le développement de la région MENA. L’approche adoptée par l’OCDE consiste à comparer les expériences politiques, à identifier les problèmes, à trouver des solutions communes à ces problèmes et à échanger les bonnes pratiques. Ces pratiques sont transposées par des recommandations et des conseils de type soft-law et selon le rythme et la configuration institutionnelle de chaque pays. De cette façon, l’OCDE contribue à la mise en place d’un cadre politique adéquat qui encourage le développement du secteur privé tout en étant attentif à ses besoins. Le Dr Nicola Ehlermann (OCDE) estime que même si c’est le rôle du gouvernement de définir l’environnement et le cadre de fonctionnement nécessaire, le secteur privé doit aussi participer à un dialogue constructif.
La Coopération financière internationale (IFC) du Groupe de la Banque mondiale a adopté un modèle qui sert les PME de la région en renforçant les investissements et en formulant des recommandations. Le Dr Marcel Rachid (IFC) a expliqué que le groupe de financement des PME a identifié des leçons clés importantes tirées d’expériences réussies, qui pourraient être résumées comme suit: les stratégies élaborées doivent être spécifiques au pays, il y a un besoin de disposer de l’infrastructure nécessaire pour assurer la transparence, enfin, le développement des agences de notation des PME et l’encouragement des prêts de capital-risque au secteur privé sont importants pour le développement du secteur.
À la fin de la session, Emmanuel Noutary (ANIMA) a souligné quelques défis clés détectés à travers ses 10 années d’expérience en travaillant avec les PME. Malgré la résilience des économies des pays du sud de la Méditerranée, lil y a un manque d’efficacité (50% de l’IDE sont concentrés dans des secteurs qui ne créent pas assez d’emplois) ; la R&D est à un niveau très bas et est dominée par le secteur public; l’intégration sud-sud est loin de son potentiel; il y a un manque d’efficacité et de coordination entre les institutions et les organismes qui s’occupent du secteur privé; enfin, il existe un manque de coordination entre les politiques éducatives, industrielles et sociales. Emmanuel Noutary a également ajouté que des organisations telles que ANIMA pourraient permettre de lier les décideurs privés et les décideurs politiques et réunir les PME afin de coordonner et maximiser les retombées.
Les intervenants à la table ronde finale ont souligné l’importance d’avoir un environnement macroéconomique équilibré, qui encourage le développement du secteur privé, l’adoption d’approches inclusives pour assurer la contribution de toute la société et la participation au processus de distribution. Il a été souligné qu’il est important d’avoir une approche holistique pour s’assurer que les politiques adoptées encouragent le secteur privé, l’importance de fournir des incitations pour passer du marché informel au marché formel. M. Galal (FEMISE) a conclu le séminaire en disant qu’il fallait trouver le juste équilibre entre ce que les économistes proposent comme solutions techniques et sociales et ce que les politiciens adoptent comme politiques.
Pour une transcription détaillée du séminaire (en anglais), veuillez cliquer ici.
Cet évenement a reçu le soutien financier de l’Union Européenne dans le cadre du projet “Support to Economic Research, studies and dialogues of the Euro-Mediterranean Partnership”. Les opinions exprimées dans ce séminaire sont de la seule responsabilité des intervenants.