Les pays du sud de la Méditerranée se caractérisent par des structures économiques non-diversifiées. Certaines structures dépendent fortement du pétrole afin de soutenir leur croissance et développement économiques, d’autres s’appuient sur le secteur immobilier, le tourisme, et les produits à faible valeur ajoutée ce qui les rend vulnérables aux évolutions économiques. La situation géopolitique de la région, qui alimente l’incertitude économique, crée d’importantes menaces et de grands problèmes, surtout en ce qui concerne le déficit commercial et la balance courante (déséquilibres extérieurs). La situation politique intérieure dans ces pays ne favorise pas non plus la stabilité économique. Les gouvernements des pays du sud de la Méditerranée sont plutôt centralisés et manquent le plus souvent d’institutions transparentes et de bonne qualité. Dans le domaine économique, cet état contribue à l’aggravation du déficit budgétaire et à l’augmentation de la dette publique (déséquilibres intérieurs). D’ajouter, les déséquilibres intérieurs et extérieurs reflètent et renforcent, à la fois, l’incapacité de ces économies à monter l’échelle des valeurs ajoutées, à développer des produits et des spécialisations plus concurrentiels, ce qui les aide à atteindre une croissance économique durable, des positions budgétaires équilibrées et des balances commerciales excédentaires.
Dans ce contexte, généralement en réponse aux risques émergents dans la sphère financière, concernant, à la fois, les déséquilibres intérieurs et extérieurs, après la crise financière mondiale, les gouvernements des pays du Sud de la Méditerranée ont adopté – parfois durement – des programmes de réforme économique en tant que moyen pour stabiliser leurs économies et gérer les risques associés. Toutefois, les programmes d’ajustement sont douloureux au niveau social et peuvent avoir des conséquences négatives sur l’économie, augmentant davantage la fragilité de ces économies et les menaçant d’une nouvelle détérioration de leur position extérieure. Cela soulève deux questions intéressantes, au niveau analytique, et très pressantes au niveau de politiques : l’étendue et la nature des déséquilibres extérieurs et intérieurs dans ces pays d’une part et la pertinence des politiques d’ajustement y suivies de l’autre.
Dans la présente étude, une analyse approfondie de ces questions se focalise sur le cas de six pays du Sud de la Méditerranée à savoir l’Algérie, l’Egypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc et la Tunisie. L’analyse, à la fois descriptive (Des graphiques) et économétrique (Techniques de l’économétrie des séries chronologiques), étudie en détails les déséquilibres intérieurs et extérieurs dans ces pays au cours des trois dernières décennies. Elle examine, par la suite, la gamme des programmes d’ajustement, les politiques d’austérité et autres mécanismes d’ajustement macroéconomique (par exemple les politiques de change) dans ces pays visant à faire face aux menaces intérieures et extérieures à la stabilité. En réfléchissant sur ces deux axes de recherche, l’étude fournit une vision utile concernant l’efficacité et la pertinence de ces réponses politiques visant à résoudre le problème en question.
Les désavantages économiques significatifs et les faiblesses politico-institutionnelles- et encore moins la mise à niveau de leurs avantages comparatifs et compétitifs- rend la stabilisation des économies une tâche difficile. Souvent les menaces fiscales, financières et économiques se combinent et se renforcent mutuellement, tandis que les tentatives de solutions politiques ont tendance à être beaucoup moins synergiques. Par exemple, l’instauration d’un régime de consolidation fiscale (pour résoudre un problème de coûts d’emprunt ou de liquidité freinant l’investissement) peut effectivement réduire l’investissement en diminuant la demande intérieure et/ou en diminuant la fourniture des biens publics qui stimulent l’investissement (par exemple l’infrastructure). De même, les politiques de libéralisation du marché et du commerce qui visent à accroître la concurrence et la productivité et à générer des effets taille de marché positifs, peut souvent mener à une augmentation disproportionnée des importations. C’est ainsi que la balance courante et peut-être aussi la position fiscale du gouvernement sont déstabilisées. Le même effet négatif peut résulter de politiques visant à réduire l’incertitude monétaire (par exemple, pour stimuler l’investissement direct étranger) en maintenant un taux de change fixe (ou indexé).
Partant, il a été établi dans la littérature économique internationale que la bonne gouvernance est une importante condition préalable à la réussite des politiques de stabilisation et du développement. Bien entendu, c’est un grand défi pour des pays comme ceux du sud de la Méditerranée qui se transforme encore de la centralisation à la libéralisation économique et politique, et qui ont des institutions démocratiques capitalistes relativement jeunes et de faibles capacités d’élaboration des politiques. Dans ce contexte, comprendre la nature toute entière de l’environnement extérieur et intérieur (par exemple, comme reflété dans les valeurs et les trajectoires économiques liées aux déséquilibres intérieurs et extérieurs) devient encore plus une condition préalable à l’élaboration réussie et effective des politiques. Les conseils qui peuvent découler d’une telle analyse peuvent permettre l’élaboration d’une vision de politique pertinente et réaliste et par conséquent, la conception et la mise en œuvre d’une stratégie appropriée qui essaiera de résoudre les problèmes identifiés et d’atteindre les objectifs fixés par la politique.
Selon notre analyse des programmes d’ajustement et d’autres politiques, les six pays du sud de la Méditerranée (dont le cas est étudié) n’ont pas eu la capacité ou peut-être le temps d’adopter une telle approche. Menacés par la rapide détérioration des déséquilibres intérieurs et extérieurs, dans un environnement international d’incertitude et de risques et accrus, ces pays ont mis, rapidement, en place des programmes d’austérité qui combinent augmentation de taxes avec réduction importante des dépenses, y compris les subventions qui -comparativement- semblent jouer un rôle important dans les politiques du gouvernement de ces économies. Selon les conseils directs ou indirects des institutions financière internationales comme le FMI, supprimer les subventions (sous ses différentes formes) est considéré une mesure positive visant à éliminer les distorsions de l’économie, lesquelles bloquent la modernisation de l’économie en réduisant le retour sur investissement productif. Toutefois, la suppression de la subvention a eu des conséquences négatives sur l’échelle sociale (elle affecte les nécessiteux) et économiques (elle baisse la demande intérieure). Alors que, dans la plupart des cas, les politiques de stabilisation (c’est-à-dire les politiques qui visent à réduire les déficits du budget et de la balance courante et à stabiliser le taux de change) étaient relativement réussies, les structures économiques et les fondamentaux de ces pays restent largement inchangeables, et plus considérablement, la vulnérabilité externe de ces économies et les problèmes socio-économiques internes d’inégalité ou du chômage. De même, les agrégats qui soutiennent les positions internes et externes de ces pays ne semblent pas avoir changé radicalement malgré la mise en œuvre des programmes d’ajustement.
Dans l’ensemble, notre analyse empirique donne une image des déséquilibres extérieurs importants et persistants concernant les dettes extérieures et les positions des actifs nets étrangers de tous les pays sauf un (L’Égypte). Cependant, et bien qu’ils soient globalement assez importants, les déséquilibres des balances courantes ne semblent pas être, uniformément, insoutenables dans les six pays.
La non-durabilité semble caractériser les cas de l’Algérie et de la Tunisie ; mais pour l’Egypte et le Maroc, les preuves de l’insoutenabilité de balance courante sont mitigées, alors que pour la Jordanie et le Liban, l’insoutenabilité de balance courante est économiquement rejetée. Mais surtout, les déséquilibres internes, sous forme de déficits budgétaires et de dette publique, ne semblent pas non plus être une préoccupation majeure pour les six pays du sud de la Méditerranée. La non-durabilité dans ces agrégats semble concerner uniquement le Maroc et l’Egypte (pour la balance budgétaire seulement), tandis que pour l’Algérie, le Liban et la Tunisie, les preuves de non-durabilité sont très limitées. Par ailleurs, l’analyse causale indique que les positions budgétaires sont non seulement durables dans un sens global, mais ne sont pas non plus une cause (de façon temporelle) des déséquilibres extérieurs.
La causalité va plutôt dans le sens inverse, en particulier des déséquilibres de balance courante aux déraillements budgétaires et des déséquilibres des actifs nets étrangers, aux vulnérabilités qui déstabilisent la dette publique dans la majorité des cas
Ainsi, bien que certains cas émergent, où les risques budgétaires se sont, particulièrement, accentués juste après la crise financière mondiale et où la politique budgétaire a relativement bien réussi à contrôler les déficits et les dettes élevés. Globalement, l’analyse de la soutenabilité intérieure et extérieure, ici présentée, ne semble pas justifier l’attention que porte nombreux pays de la région à l’assainissement budgétaire. Mettre, plutôt, l’accent sur la correction des mésalignements de taux de change et s’occuper des questions de la compétitivité internationale, d’exportation et d’investissement étranger semblent être beaucoup plus pertinent par rapport aux menaces identifiées pour ces économies. Mais sur le long terme, l’ensemble critique de politiques ne concerne pas tant le domaine monétaire que budgétaire, mais plutôt l’ensemble des interventions qui peuvent être appliquées dans l’économie réelle, dans le but de renforcer les compétences de base et promouvoir la diversification économique vers des activités à forte valeur ajoutée ; ainsi qu’en ce qui concerne le système juridique et institutionnel (résoudre les problèmes de corruption, d’inefficacité de la gestion publique, d’informalité économique, etc…)